Pourquoi, pourquoi, pourquoi… Mais quel curieux ! Pourquoi une tomate est-elle rouge et le ciel bleu ? Pourquoi mon chat ronronne-t-il ? Pourquoi la glace est-elle froide ? Pourquoi la lumière s’allume-t-elle quand j’appuie sur le bouton ? Pourquoi les oiseaux ne s’électrocutent-ils pas sur les fils électriques ? Pourquoi dois-je aller dormir ? Pourquoi ne puis-je pas regarder des jeux vidéos toute la journée ? Pourquoi l’eau fait-elle de la fumée quand on la chauffe ? Pourquoi doit-on manger tous les jours aux mêmes moments ? Pourquoi dois-je mettre des lunettes pour voir le film en 3D ?
Oh la la ! Toutes ces questions ! Quelle enthousiasme pour le savoir ! Cet enthousiasme si précieux qui fait le lit de la curiosité et dont nous parle André Stern dans cette conférence, c’est merveilleux ! Tenter de répondre de façon claire et exacte à ces questions, en parlant aux enfants comme on parlerait à un adulte, est une activité qui nous enrichit tous, parents et enfants. L’enfant qui questionne est motivé; la motivation n’est en fin de compte que le désir d’apprendre. Il faut absolument suivre l’enfant dans ses découvertes et ses intérêts, résister à la tentation d’éluder la question avec un “c’est comme ça !”.
Le parent a un rôle de guide, il étaye, enrichit et oriente les connaissances que l’enfant découvre, pour l’encourager et développer encore plus sa curiosité, car la curiosité est ouverture au monde.
Il n’y a aucune connaissance de la terre qui ne commence par l’imagination. Lorsqu’elle disparaît, lorsque se brise la création par l’imaginaire, la curiosité s’évanouit avec elle et le savoir s’épuise.
Franscisco Alberoni, sociologue, auteur d’ouvrages majeurs sur l’amour et l’amitié.
En augmentant les connaissances, la curiosité est source de culture et de savoirs: elle étend le champ des possibles.
La satisfaire donne confiance en soi, elle limite la peur de l’inconnu et de l’ignorance, car l’ignorance effraie : “Papa, j’ai peur de ne pas savoir”.
De nos jours pourtant, la curiosité a dans l’imaginaire collectif plutôt mauvaise presse…Mais que s’est-il passé ?
En croquant la pomme, Eve est un peu trop curieuse… On connaît la suite ! Puis c’est Pandore, une autre femme, raconte Hésiode dans “Les Travaux et les Jours”, qui laisse échapper tous les maux de l’humanité pour satisfaire sa curiosité. Saint-Augustin dénonce la curiosité, ce vice qui consiste à accroître ses connaissances par la science quand on ferait mieux de contempler le monde à la recherche de Dieu. Et pour ces Romains d’Astérix dont je soulignais le “engagez-vous, rengagez-vous” dans un article précédent sur l’engagement actif dans les apprentissages, le “curius” est même un espion, celui qui cherche à savoir pour de bien basses raisons, dans le but immoral de voler la potion magique.
“La curiosité est un vilain défaut”, dit-on aujourd’hui aux enfants qui touchent un peu trop à ce que nous laissons en évidence et que nous aurions dû ranger un peu mieux. Le mot curiosité a évolué à travers l’histoire, passant d’une idée pourtant noble à une signification très négative. En effet, étymologiquement, la curiosité est une vertu. Le mot vient de curius, curia, qui a donné les mots cure et curatifs, comme le souligne Erik Orsenna dans le bloc-notes de l’Académie Française. A l’origine, le curieux est donc celui qui prend soin, de quelque chose, des autres, ou de lui même.
Satisfaire sa curiosité, son désir de comprendre le pourquoi et le comment,
c’est donc prendre soin de soi.
Pour l’enfant qui grandit, la curiosité est le fait de générer, de provoquer des situations pour lesquelles il y aura une nouveauté, une surprise :
la curiosité est la recherche de la nouveauté.
C’est aussi chercher à diminuer le décalage entre ce que l’on connaît et ce que l’on aimerait connaître. Et parmi toutes les activités possibles, l’enfant recherche celles où il apprendra le plus, où ses expériences passées lui indiqueront quelle activité a été le plus bénéfique. Inconsciemment il sera porté vers les domaines qui l’ont le plus enrichi. L’enfant ne va pas aller explorer des situations banales, ni des situations trop difficiles, mais des situations qui vont lui permettre de maximiser son apprentissage. Grâce à l’imagerie cérébrale et un bon questionnaire, les scientifiques ont réussi à tracer une courbe de la curiosité. Ce graphe montre que la curiosité est maximale pour des sujets que l’on peut apprendre, ceux pour lesquels on a déjà une certaine connaissance et auquel on va pouvoir en ajouter d’autres. Les domaines sur lesquels nous n’avons aucune connaissance, aucune confiance, ne suscitent pas la curiosité, car si nous ignorons totalement un sujet, nous ne pouvons pas le désirer. De façon symétrique, les sujets que l’enfant semble déjà bien maîtriser ne suscitent aucun désir, aucune curiosité. La courbe de la curiosité atteint alors un minimum. L’enfant n’est curieux que des sujets qu’il connaît déjà en partie.
Pourquoi insister autant sur la curiosité dans un article sur les apprentissages ? Parce-que… les sujets que l’on mémorise le mieux sont ceux pour lesquelles notre curiosité est la plus grande.
Le fait d’être curieux d’une réponse ou d’une nouvelle connaissance active notre cerveau de façon anticipée, dans l’attente de l’information. Lorsque le savoir recherché est transmis à l’enfant, ce savoir s’inscrit alors d’autant mieux dans sa mémoire.
Ainsi, plus la curiosité est grande, plus l’apprentissage est facilité. Il est donc possible d’accélérer l’apprentissage en mettant en scène des exercices, des jeux, des énigmes qui stimulent la curiosité et qui incitent l’enfant à la découverte. Nous, parents, pouvons aider nos enfants à apprendre en présentant des jeux éducatifs de façon à maximiser leur curiosité naturelle. Découvrir des informations nouvelles répondant à sa curiosité est une motivation pour l’enfant (et pour nous-mêmes). Ainsi, les jeux répondant aux questions “Qui” (les énigmes, le Cluedo), “Comment” et Pourquoi” (coffrets chimie, physique), où les mystères des illusions d’optiques satisfont le désir des enfants d’en savoir plus.
Pour les enseignants, attention à ne pas proposer d’exercices trop simples ou trop difficiles. La curiosité n’est pas au maximum dans les extrêmes. Il est donc très utile de bien connaître le niveau de l’enfant pour lui proposer des défis juste au-dessus de son niveau actuel. Un enseignement trop explicite peut être un frein à la curiosité et être contre-productif. L’enfant se limite lui-même dans son apprentissage lorsque l’enseignant donne l’impression d’avoir tout donné, transmis, renseigné. L’enfant apprend et explore bien plus lorsque l’enseignant laisse des questions ouvertes, suggère d’autres propriétés sans les expliquer. Un enseignant malin doit donc laisser des portes entrouvertes que l’enfant va ouvrir seul. Il n’est pas intéressant de tout transmettre de façon exhaustive et magistrale. L’enseignant doit laisser entendre à l’enfant qu’il reste des choses à découvrir, que peut-être il ne maîtrise pas tout, ou qu’il n’a pas tout dit, et qu’il y a encore plus de choses nouvelles et extraordinaires à conquérir.
Mais faire cela, c’est se fier à une curiosité naturelle qui disparaît au fur et à mesure que l’enfant entre dans le moule dans lequel nous lui apprenons à se fondre. Avez-vous remarqué que les pourquoi cessent à l’époque de l’entrée au collège ? Et que lorsque cessent les questionnements cesse également la motivation pour les apprentissages ? Et que la créativité se perd… Pourtant, très jeunes, les pensées des enfants partent souvent dans tous les sens, et les pourquoi sont bien souvent complétés de “Et si il y avait…” ou “Et si on faisait comme cela…”.
Etre curieux et savoir encore se poser des “pourquoi” a mené à de grandes découvertes : Maxwell, Darwin, Einstein, Marie Curie, Steve Jobs avaient cette curiosité et ce questionnement, et cette capacité à penser en dehors des clous, (to think out of the box, comme auraient dit les deux prix Nobel Niels Bohr et Ernest Rutherford dans cette jolie petite légende que l’on peut lire ici)
Qu’est-ce que la vieillesse ? C’est d’abord perdre la curiosité.
François Mitterrand
Alors comment alimenter et entretenir cette curiosité ? Ce sera bénéfique à nos enfants, et aussi à nous même : nous les grands avons trop oublié que nous adorons apprendre nous aussi.
D’abord en posant des questions :
– On fait un jeu ? Nous allons essayer de trouver 10 raisons qui expliqueraient pourquoi notre train pour l’école est en retard.
– Les enfants, j’ai besoin de votre avis. Par quoi pourrions-nous remplacer le beurre dans le gâteau au chocolat ? Il n’y en a plus. (Une solution : de la courgette rappée, ou comment faire manger des légumes… mais ceci est une autre histoire).
– En questionnant l’univers, la vie, en faisant un peu de philosophie… Est-ce que ce serait bien d’être immortel ? Si tu pouvais choisir d’avoir un super pouvoir, tu choisirais quoi ? C’est quoi pour toi être heureux ? A quoi ça sert les amis ? A quel moment est-ce que c’est bien de désobéir ?
Ensuite en s’exposant à des univers multiples :
– la nature : en allant en forêt, en expliquant les arbres et les champignons, les animaux, en observant et écoutant.
– la culture : en découvrant les arts primitifs, le “cubisme” des demoiselles de Picasso et les “arrondis” des nanas de Niki de Saint-Phalle, en allant voir le pendule de Foucault, en se demandant pourquoi sur les gravures égyptiennes, les personnages ont les pieds de profil et le visage de face, pourquoi dans les tableaux de la Renaissance Judas est-il souvent représenté vêtu de jaune ou pourquoi si je graffe sur un mur je commets un délit alors que Basquiat et Bansky sont des “street-artistes”…
Et la curiosité est de tout âge. Entre deux et 5 ans nos enfants établissent plus de connexions neuronales que pendant tout le reste de leur vie. Avec les plus petits aussi appuyons nous sur la curiosité. N’attendons pas pour les promenades dans la nature et les questionnements. Il s’agit juste parfois de reprendre une remarque, de reformuler pour conforter l’enfant de la justesse de son intuition.
Alors, soyons curieux, car c’est Eve et Pandore qui avaient raison :
Sans la curiosité de l’esprit, que serions-nous ? Telle est bien la beauté et la noblesse de la science : désir sans fin de repousser les frontières du savoir, de traquer les secrets de la matière et de la vie sans idée préconçue des conséquences éventuelles.
Marie Curie
A l’origine de toute connaissance, nous rencontrons la curiosité ! Elle est une condition essentielle du progrès.
Alexandra David-Neel
A la naissance d’un enfant, si sa mère demandait à sa bonne fée de le doter du cadeau le plus utile pour lui, ce cadeau serait la curiosité.
Eleanor Roosevelt
Sources :
- “Le désir de connaître le pourquoi et le comment” est une citation tirée du “Leviathan”, oeuvre majeure du philosophe anglais Thomas Hobbes.
- Un bel article sur la curiosité trouvé sur le site vivrespinoza.com
- Les vidéos et articles de l’autodidacte André Stern
- Les cours de S. Dehaene au Collège de France.