Devenir père, la grande odyssée

 

Si vous voulez de l’aventure, devenez Papa ou Maman car alors sur ce chemin vous allez rencontrer du rire et des pleurs, des tracas et des joies, des mystères et des énigmes sans cesse renouvelés. Vous quitterez des sommets pour chuter en pleine mer, et il faudra ramer pour rejoindre des rivages enchantés ou ensorcelés. Devenir parent, c’est voir apparaître en nous les fissures et les béances, et c’est aussi se découvrir des ressources insoupçonnées et de l’endurance. Je pourrai l’écrire plus simplement : ce n’est pas facile tous les jours.

 

Le livre dont j’ai envie de parler aujourd’hui met du baume au cœur. Chaque phrase me bouscule et m’accroche comme une main ferme et bienveillante qui se poserait sur mon épaule, comme pour dire : “je sais ce que tu vis car je l’ai vécu et le vis aussi, encore. C’est souvent dur, il faut sortir de sa zone de confort, et je peux t’aider”. Des généralités intimes: elles s’appliquent à tous et pourtant me touchent personnellement en plein cœur. Des mots justes et compréhensifs sur cette aventure qu’est la famille, être père, les enfants, être mère, devenir parents. C’est ce chemin tortueux qu’essayent d’éclairer Myla et Jon Kabat-Zinn dans A chaque jour ses prodiges, Etre parent en pleine conscience.

 

Le livre entier mériterait d’être cité. Tout sonne juste, peu de digression, des exemples parlants. Je ne suis pas (encore) adepte de la méditation. Le concept de pleine conscience qui se répand comme une traînée de poudre dans les magazines est ici aussi pleinement explicité, sans insistance ni prosélytisme outrancier, mais avec une apparente pertinence qui étaye le propos.

 

C’est là selon moi notre travail de parents. Nous devons aider nos enfants à grandir, les protéger, les guider, jusqu’à ce qu’il soit prêt à s’élancer sur leur propre chemin.

Nous devons être aussi nous-mêmes entier, chacun étant sa propre personne, avec une vie à soi, de sorte qu’ils puissent nous voir entier contre le ciel.

 

Un devoir envers ses enfants, un devoir envers soi-même. Voilà qui résume bien les deux idées essentielles du livre. Pour bien accompagner ses enfants, les parents doivent s’accompagner aussi et progresser dans la connaissance qu’ils ont d’eux même, et la méditation de pleine conscience peut les aider.

Le métier le plus compliqué du monde

Si ce que racontent les Kabat-Zinn a tant d’écho pour moi, c’est que j’ai souvent pensé qu’être père était le métier le plus compliqué du monde, et que l’enjeu, avoir des enfants bien dans leur peau ayant les ressources pour trouver leur voie dans le monde, était vital.

 

Devenir papa

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De ce point de vue, A chaque jour ses prodiges est rassurant :

 

Être parent, la catastrophe totale. Quand nous devenons  parents, délibérément ou par hasard, toute notre vie est bouleversée, même s’il nous faut du temps pour comprendre à quel point. Le stress prend une ampleur insoupçonnée et nous rend vulnérable de mille manières nouvelles. Nous devons nous montrer responsables comme on ne nous l’avait jamais demandé. C’est un défi sans précédent, qui accapare notre temps et détourne notre attention d’autres choses, notamment de nous-mêmes. C’est le désordre, l’anarchie, on se sent inadéquat, c’est une source de disputes, d’agacements, de bruit, d’obligations apparemment sans fin, d’innombrables occasions de se sentir pris au piège, furieux, blessé, accablé, vieux et sans importance. Cela dure tant que les enfants sont petits, mais peut aussi se prolonger quand ils sont adultes et lancé dans la vie. Avoir des enfants, c’est chercher les ennuis. Alors pourquoi en avoir ? Parce-que les enfants nous permettent de profiter des palpitations de la vie comme jamais nous ne le pourrions s’ils ne faisaient pas partie de notre existence.

Nous vivons dans une culture qui ne reconnaît pas le métier de parents comme activité valide est importante. Il paraît tout à fait acceptable que les gens se consacre à 100 % à leur carrière professionnelle, à leur relation amoureuse, ou à “se trouver”, mais non à leurs enfants. Accorder la priorité à un enfant, cohérence, dévouement et attention, ce serait le gâter. La société dans son ensemble, ses institutions et ses valeurs, qui créent et reflètent à la fois le microcosme de nos propres conceptions et valeurs individuelles, contribue largement à ce travail de sape. Qui sont les gens les mieux payés ? Certainement pas les puéricultrices ou les enseignants dont les efforts complètent ceux des parents. Où sont les modèles, les réseaux de soutien, les congés parentaux payés, les emplois à temps partiel pour la mère et le père qui veulent rester à la maison pendant plus de quelques semaines après la naissance de leur enfant ? Où sont les cours destinés aux jeunes parents ? Tous ces avantages, s’ils existaient, nous montreraient que le métier de parents est de la plus haute importance et que l’ensemble de notre société l’apprécie hautement. Mais ils sont hélas bien rares.

De tous les métiers au monde, celui de parents est l’un des plus difficiles, des plus exigeants et des plus stressants. C’est aussi l’un des plus importants, car la façon dont nous l’exerçons a des conséquences considérables sur le cœur, l’âme et la conscience de la génération qui nous suit. Nous modelons ainsi, chez nos enfants, leur expérience du sens et des relations, leur palette de compétences essentielles, leurs sentiments les plus profonds sur eux-mêmes et sur leur place possible dans un monde en pleine transformation. Pourtant lorsque nous devenons parents c’est à peu près sans aucune préparation ni formation, pratiquement sans conseil ni soutien dans un monde où produire compte bien plus qu’éduquer, où faire compte bien plus qu’être.

Etre un parent est une tâche intense et exigeante, en partie parce que nos enfants peuvent nous demander ce que personne d’autre ne pourrait ou ne voudrait me demander. Ils nous voient de plus près que quiconque, ils nous tendent constamment un miroir où nous regarder. Ce faisant ils nous donnent la chance de nous voir autrement, de nous interroger consciemment sur ce que peuvent nous apprendre nos rapports avec eux. Cette conscience nous permet alors de faire des choix qui favoriseront la croissance interne de nos enfants et en même temps la nôtre. Notre interdépendance nous permet d’apprendre et de grandir ensemble.

Le plus long des voyages

Certains explorateurs disent que la jungle est un milieu hostile, peuplé d’espèces dangereuses. D’autres au contraire disent que c’est un lieu de survie idéal, bénéficiant d’un accès à l’eau et de nourritures faciles. En réalité, les sages disent que la jungle est neutre, que tout dépend du regard qui y est porté. Pourquoi est-ce que je vous parle de la jungle ? Parce-qu’étymologiquement, la jungle est simplement une terre sauvage non cultivée, en friche, non mise en valeur. Telle est un peu la parentalité : tout dépend de la façon dont on la voit. On peut se laisser vivre ou au contraire tenter de faire fructifier notre nouvel état de parent dans cette zone en friche où nous sommes jetés quand notre enfant naît.

Devenir père, c’est un long chemin à suivre en terre inconnue.

 

Selon moi, quel que soit l’âge des enfants, tout parent est embarqué dans un voyage ardu, une sorte d’odyssée, que nous le sachions ou non, que cela nous plaise ou non. Bien sûr ce voyage n’est autre que la vie, avec ses virages et ses tournants, ses hauts et ses bas. La qualité et la signification de ce voyage dépendent énormément de la manière dont nous appréhendons, dans notre esprit et dans notre cœur, toute la diversité de notre expérience. Celle-ci influe sur l’endroit où nous allons, sur ce qui arrive, ce que nous apprenons et ce que nous ressentons en chemin.

Pour un parent le défi consiste, selon moi, à vivre chaque instant aussi pleinement que possible, à cartographier son périple du mieux possible, et surtout à aider ses enfants à grandir, tout en grandissant lui-même. De ce point de vue, nos enfants et le voyage proprement dit nous offre des possibilités infinies. De toute évidence c’est le travail d’une vie entière, et nous l’entreprenons pour la vie. Comme nous le savons tous jusque dans la moelle de nos os, il ne s’agit pas de l’accomplir à la perfection, de toujours réussir. Il s’agit plutôt d’une quête. L’idée de perfection n’a rien à faire ici, quel que soit le sens que cette notion aurait par rapport au métier de parents. Il me semble que ce travail réside tout entier dans l’écoute, dans la qualité de l’attention que j’apporte à chaque instant, et dans ma volonté de vivre et d’être parents de la façon la plus consciente qu’il soit.

“Connais-toi toi-même”, disait Socrate… il devait être père !

Pour parcourir ce long chemin difficile, vivre pleinement ce voyage semé d’aventures et d’embûches, Myla et Jon Kabat-Zinn rappellent que la plupart des pièges sont ceux que nous nous tendons à nous-même. Ce sont nos zones d’ombres, nos secrets inaccessibles même de nous-même qui nous mettent des bâtons dans les roues. Le secret est de se connaître soi-même pour éclairer nos ombres.

 

Etre parents en pleine conscience est une tâche redoutable. Nous devons nous connaître nous-même de l’Intérieur et travailler à l’interface où notre vie interne rencontre la vie de nos enfants.

Être parents en pleine conscience, c’est aussi un moyen de me voir moi-même, de travailler sur les moments difficiles et sur les réactions automatiques qui naissent alors si aisément à moi, réactions qui sont souvent dures, restrictives ou destructrices pour le bien-être de mes enfants.

Nos enfants, de leur naissance jusqu’à l’âge adulte et au-delà, peuvent apparaître comme des professeurs à domicile qui ne cessent de nous lancer des défis, qui nous offrent d’innombrables occasions d’accomplir le travail intérieur nécessaire pour comprendre qui nous sommes et qui ils sont.

En tant que parents et en tant qu’être humain, quoi que nous ayons à affronter dans notre vie, nous sommes tous capable de nous développer et de nous transformer mais si nous apprenons à reconnaître nos ressources internes pour y puiser et définir un cheminement conforme à nos valeurs et à notre cœur.

Rien de ce qu’on nous dit ne saurait nous préparer au fait d’être parents Nous apprenons sur le tard, nous nous frayons un chemin, en nous fiant à nos ressources internes, y compris celles dont nous ignorions l’existence, d’après ce que nos enfants nous indiquent, en fonction des situations et à mesure qu’elles se présentent. Il faut l’avoir vécu de l’intérieur pour savoir ce que c’est. C’est un travail interne profond et durable, une formation spirituelle à part entière, si nous choisissons de nous laisser persuader, d’instant en instant.

Nous pouvons complètement ignorer, refuser comme gênant ou sans importance, trop confus ou trop difficile, le flux continu des enseignements prodigués par nos enfants et par les circonstances où nous nous trouvons. Nous pouvons aussi les étudier de près, en les laissant nous indiquer à quoi nous devons prêter attention pour discerner ce qui se passe et ce qu’il faut faire à chaque instant. Ce choix est entièrement le nôtre. Si nous résistons, nous risquons de provoquer beaucoup de luttes et de souffrance superflues, car ignorer la force vitale des enfants qui explorent, apprennent et grandissent, ne pas reconnaître et honorer leur souveraineté, c’est nier une réalité fondamentale, qui se fera connaître et ressentir d’une manière ou d’une autre.

Élever des enfants, c’est une sorte de formation continue. Nous sommes à l’école, que nous soyons prêts ou non. Et qui est jamais prêt ?

Apprendre à se connaître avec la pleine conscience

Il existe de nombreuses méthodes de développement personnel, mais celle préconisée dans A chaque jour ses prodiges est la méditation pleine conscience. Qu’est-ce que la pleine conscience ? Pour les deux auteurs il s‘agit d’être présent, à chaque moment, à l’instant qui se vit. Etre présent, c’est être dans l’ici et le maintenant, dans l’espace et le temps.

Il m’arrive souvent d’être dans “l’ici” mais dans la mauvaise temporalité. Je peux jouer avec mes enfants et en même temps penser à ce qui vient de se passer, au passé, ou au contraire aux tâches futures, à venir, à l’avenir. Une part de moi est absente. Le passé est derrière moi, et l’avenir n’est qu’une possibilité qui sera transformée par la démarche de pleine conscience.

 

La pleine conscience est donc une nécessité de présence au moment extérieur qui se vit, pour le savourer totalement et pour influer positivement sur le futur instant à venir, mais c’est surtout une nécessité de présence à soi-même, à notre intériorité. Un moyen d’identifier nos pensées, d’en prendre connaissance et de nous en dégager. Nos pensées vont et viennent, surgissent, ce sont les nôtres mais nous ne sommes pas nos pensées. Nous sommes autres. Savoir identifier ses pensées et en prendre conscience permet de se dégager de leur flot et de sortir de la réactivité, de l’impulsion, du réflexe hérité ou conditionné par notre enfance et d’agir avec plus de bienveillance. Ce n’est pas une démarche sans risque :

 

Pour ceux d’entre nous qui ont dû se fermer, pour ne pas voir, pour éliminer leurs sentiments afin de survivre a leur propre enfance, la pleine conscience peut-être particulièrement douloureuse.

Aborder dans la pleine conscience les divers aspects de notre quotidien à mesure qu’il se déroule, voilà une alternative pratique et profondément positive au pilote automatique, ce mode selon lequel nous opérons la plupart du temps sans même le savoir. C’est particulièrement important pour les parents, quand nous essayons chaque jour de jongler avec toutes les exigences et responsabilités contradictoires, tout en gagnant de quoi élever nos enfants et en leur donnant de quoi satisfaire leurs besoins spécifiques, internes et externes, dans un monde de plus en plus stressant et complexe.

Etre parents en pleine conscience, c’est s’éveiller aux possibilités, aux avantages et aux défis du métier de parents, avec une attention et intentionnalité nouvelles, non seulement comme si ce que nous faisons comptait vraiment, mais comme si cette implication consciente dans le métier de parents étaient pratiquement la chose la plus importante pour nos enfants comme pour nous-mêmes.

En apprenant à observer et à accepter la vaste gamme de nos sentiments, même les plus violents, dans le cadre de nos efforts de pleine conscience, nous devenons naturellement plus conscient des sentiments des autres, de nos enfants surtout. Nous découvrons le paysage des émotions et leur nature changeante, nous avons plus de chances de faire preuve de sympathie, et moins de risque de les prendre de façon personnelle.

Vivre en pleine conscience, c’est être à l’écoute, moment après moment, sans jamais juger. On cultive la pleine conscience en affinant ses facultés d’attention à l’instant présent, puis en s’efforçant de prolonger cette attention de son mieux, cela nous permet d’être en contact avec notre vie alors même qu’elle se déroule.

En fait il s’agit de voir si nous pouvons, face à nos enfants, nous souvenir d’aborder chaque instant avec ce genre d’attention, d’ouverture et de sagesse. C’est une authentique pratique, une discipline interne, une forme de méditation.

Au lieu d’opposer nos besoins à ceux de nos enfants, la pleine conscience nous rappelle que nos besoins sont interdépendants. Indéniablement, nos vies sont étroitement liées. Le bien-être de nos enfants affecte le nôtre, et le nôtre affecte le leur. Quand ils vont mal, nous souffrons, et quand nous allons mal, ils souffrent.

La poursuite de l’équilibre.

La pleine conscience est un outil, vecteur de connaissance, vecteur de stabilité aussi, un tuteur et la perche de funambule dans une vie en équilibre.

 

La pleine conscience ne consiste pas à être tellement concentré sur son enfant qu’on se perd soi-même. Il s’agit avant tout d’équilibre.

Au fil des années nous avons toujours essayé de trouver un équilibre dans notre métier de parents. C’est en fait une question très personnelle. Ce qui nous paraît équilibrée peut vous paraître tout à fait déséquilibré, et vice-versa. De plus ce qui nous semble équilibré aujourd’hui pourrait nous apparaitre autrement à un autre moment. C’est un processus en constante évolution, puisque le point d’équilibre ne cesse de changer. Nous devons travailler pour définir ce que signifie l’équilibre pour nous, et afin de faire les choix judicieux à chaque instant, pour nous, pour nos enfants et pour la famille dans son ensemble. Travailler sur l’équilibre est un processus dynamique, non un point fixe, car en vérité on passe sa vie à perdre son équilibre et à le retrouver. On peut apprendre beaucoup en appliquant la pleine conscience.

La pleine conscience et la science

Il y a deux facettes au livre des Kabat-Zinn : être parent et la pleine conscience. Pour le premier point, j’ai fait le grand saut, je suis maintenant un papa doublement dans le grand bain, je nage, je coule et je surnage comme je peux. Pour la pleine conscience, de multiples études en soulignent les bienfaits. J’en ai découvert tellement qu’en parler ici est difficile. Si vous aussi vous avez besoin de le vérifier, vous trouverez des références dans les sources en bas de page. Mais je peux citer quelques bénéfices prouvés, dans le désordre: régulation des émotions, meilleur contrôle de soi, plus grande capacité d’attention à soi, développement de l’empathie et de l’altruisme, meilleures défenses immunitaires, diminution du rythme de vieillissement des cellules, amélioration de la pression sanguine, diminution du rythme cardiaque et du taux de lipide dans le sang. Quand on voit les études, la méditation, ça a l’air bien !

Il fallait donc essayer. Quand on se frotte à la pleine conscience, on commence par se concentrer sur la respiration, en laissant passer les pensées qui viennent, puis on se recentre sur sa respiration. Cela dure 5 minutes et je trouve la pratique plutôt agréable. Il y a même un je ne sais quoi qui donne envie de recommencer…

 

Dans le prochain épisode de la grande odyssée, découvrez les trois piliers des relations parents-enfants en pleine conscience et des aides pour travailler cette façon d’être à la vie.

 

L’odyssée continue (celle d’Ulysse a duré 20 ans… la nôtre va durer autant ou plus !)

 

 

 

Sources :

– A chaque jour ses prodiges, Etre parent en pleine conscience, de Myla et Jon Kabat-Zinn, livre de poche

https://goamra.org/resources/reviewsmeta-analysis/ (base d’articles recensant les études scientifiques en rapport avec la méditation)

– Cerveau et méditation. Dialogue entre le bouddhisme et les neurosciences, de Mathieu Ricard et Wolf Singer, Allary Editions, Janvier 2017.

 

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