Nous poursuivons notre cycle sur les apprentissages de l’écrit avec aujourd’hui un article sur la dyslexie. Lisez jusqu’au bout. Vous verrez, la dyslexie va vous surprendre et certains pourraient regretter de ne pas être dyslexiques !!
Pourquoi parler de la dyslexie ?
Parce-que l’idée que l’on se fait de la dyslexie est un énorme malentendu ! Car que pensent les autres enfants de leur camarade dyslexique ? Qu’il est stupide ! C’est ce dont témoigne Gabi Renola, une jeune fille de 14ans, dans cette vidéo
Et qu’est-ce que les enfants dyslexiques entendent dire à leur propos : “Ce n’est pas une flèche, il ne pourra pas suivre de hautes études”, ou “Votre fils, il est un peu paresseux, non ? Il serait temps qu’il s’y mette. “ ou “Peut mieux faire, doit essayer plus fort”. Le résultat, c’est qu’on ne cesse de répéter aux enfants dyslexiques qu’ils sont nuls.
Pourtant, la dyslexie n’est pas une mauvaise excuse, ni le signe extérieur d’efforts insuffisants. Le malentendu est bien que l’enfant dyslexique est un enfant intelligent, qui n’a pas de déficit sensoriel, qui évolue dans un contexte favorable et qui fréquente régulièrement l’école. Il a envie d’apprendre à lire, mais n’y parvient pas malgré ses efforts.
Et cette erreur touche des milliers d’enfants dans les écoles françaises. Publié en 2007, un rapport de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) conclue que : « la dyslexie concerne au minimum entre 3 et 5 % d’enfants vers l’âge de 10 ans » soit « environ un quart des enfants présentant des difficultés en lecture ». Parmi les 18 à 20% d’enfants “mauvais lecteurs / mauvais orthographieurs”, un quart environ sont des enfants atteints de dyslexie. Statistiquement tout enseignant a, chaque année, dans sa classe, 1 ou 2 enfants atteints d’un trouble spécifique du langage.
Les statistiques sont éloquentes, non ? Un enfant dyslexique, ce n’est finalement pas si rare, voilà pourquoi il faut en parler ici. D’autre part, comprendre les difficultés éprouvées par l’enfant dyslexique nous donne un autre éclairage sur les mécanisme de l’apprentissage de la lecture et sur la façon dont nous comprenons un texte. Et comprendre, c’est trouver des solutions !
Alors, qu’est ce que la dyslexie ?
La dyslexie est un Trouble Spécifique de l’Apprentissage (TSA) d’origine neuro-développementale qui affecte l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. Elle fait partie des troubles “dys”, comme la dyscalculie (déficit de la compréhension des nombres et des quantités), la dyspraxie (troubles moteurs), la dysphasie (difficulté à parler, à communiquer), la dysorthographie (pour ce dernier dys, pas besoin de préciser, je crois !) et le Trouble/Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (le célèbre TDAH).
C’est une façon atypique de traiter l’information qui est liée à des déficits cognitifs.
La dyslexie se caractérise par des déficits persistants dans les processus de décodage des mots écrits, une faible vitesse de lecture et des difficultés en orthographe. C’est surtout une façon différente de lire. Ce handicap constitue ainsi un obstacle – mais pas du tout une limite – aux apprentissages scolaires.
L’enfant dyslexique essaye de lire : il fait appel comme tout lecteur à deux systèmes de lecture simultanément, passant de l’un à l’autre au fil des mots. En lisant, nous piochons tous dans le système qui nous convient le mieux en fonction des mots que nous rencontrons sur la page :
Système 1 : assemblage des lettres avec des sons pour lire les mots nouveaux
Système 2 : utilisation de nos connaissances lexicales et orthographiques pour lire les mots irréguliers, ceux qui ne se prononcent pas comme ils s’écrivent.
Pour le système n°1, celui de l’association lettres et sons, il faut :
– bien entendre les sons, distinguer le “t” du “d” par exemple
=> Compétence : AUDITION
– identifier les sons dans un mot, savoir les intervertir comme dans une contrepèterie, savoir segmenter un mot en différents sons
=> Compétence : METAPHONOLOGIE
– rester concentré sur le mot et savoir orienter soigneusement, dans l’espace de la feuille, son regard d’une lettre à l’autre, et savoir revenir en arrière sur une lettre en inhibant les lettres les plus à droite du mot.
=> Compétence : ATTENTION
– retenir le début du mot quand on en est aux dernières lettres
=> Compétence : MÉMOIRE DE TRAVAIL A COURT TERME
Pour le système n°2, il faut :
– posséder un grand lexique orthographique, autrement dit beaucoup de vocabulaire
=> Compétence : MEMOIRE A LONG TERME
– être capable de répartir son attention sur plusieurs lettres en même temps, sur toute la longueur du mot.
=> Compétence : BONNE VISION SPATIALE
Toutes ces compétences peuvent présenter des déficits et être cause de dyslexie.
Je trouve que tout ça reste bien théorique. Essayons de nous mettre dans la peau d’un dyslexique….
Expérimentons la dyslexie pour mieux comprendre
Le but du jeu est d’essayer de lire ces extraits du Petit Prince de Saint-Exupéry.
Extrait 1 :
Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous disent jamais : “Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ?” Elles vous demandent : “Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ?” Alors seulement elles croient le connaître.
Extrait 2 :
Et le Petit Prince dit à l’homme : ” les grandes personnes, elles ne comprennent rien toutes seules et
c’est très fatigant pour les enfants de toujours et toujours leur donner des explications “
Extrait 3 :
C’est une folie de haïr toutes les roses parce que une épine vous a piqué, d’ abandonner tous les rêves parce que l’ un d’ entre eux ne s’ est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu’on a échoué……
Extrait 4 :
C’estunefoliedecondamnertouteslesamitiésparcequ’uned’ellesvousatrahidenecroireplusenl’amourjusteparcequ’und’entreeuxaétéinfidèledejetertoutesleschancesd’êtreheureuxjus
teparcequequelquechosen’estpasallédanslabonnedirectionIlyauratoujoursuneautreoccasionunautreamiunautreamouruneforcenouvellePourchaquefinilyatoujoursunnouveaudépart.
Extrait 5 :
Tun ‘ese nco re po urm oi qu’u npe titg ar çon tou tse mbl abl eàc en tmi lle pe ti tsga rço ns. Et jen ‘aip asbe soi nde to i. Ett un’as pa sbe so in de mo ino nplu s. Jen es uis pou rt oi qu’u nre nar dse mbla bleà ce ntm iller ena rds.
Vous sentez comme c’est difficile ? C’est le genre de difficultés que peut éprouver un enfant dyslexique quand il lit.
Comment faire pour les aider ?
Il existe deux types d’aide que l’on peut apporter à un enfant dyslexique. La première est d’ordre “technique” :
– Favoriser l’oral, ne pas insister sur l’écrit et pour l’écrit, être tolérant avec la lenteur de l’enfant. Rien ne sert de le pénaliser s’il ne va pas assez vite, ce n’est pas une course !
– Tant pis pour les fautes s’il ne s’agit pas d’une dictée ! Jugeons plutôt les connaissances.
– Penser à utiliser des polices de caractères adaptées comme Arial, Times ou OpenDyslexic, veiller à espacer les lignes, mais pas trop…
– Enseignons en donnant des images, du volume, de la 3D, du visuel
Pour d’autres aides encore, je vous conseille la Charte de l’excellent site dixsurdys, sobre et très complet.
Une petite citation un brin provocante…mais pas dénuée de fondement :
Si notre système éducatif prenait tous ses facteurs en compte, s’il était capable d’enseigner à chaque enfant en se basant sur ses forces, alors il n’y aurait plus besoin de diagnostiquer des dyslexies chez l’orthophoniste. La dyslexie n’est pas un trouble de l’apprentissage, c’est un trouble de l’enseignement !
Julie Salisbury, éditrice chez InflluencePublishing
Et la deuxième aide consiste à apporter soutien et bienveillance à l’enfant. Il est trop souvent moqué à l’école, il travaille énormément pour peu de résultats. Ses efforts ne payent pas. Et l’enfant se décourage et se dévalorise, perd confiance en lui et ne parlons pas de son estime de soi souvent au ras des pâquerettes. Alors, pour l’aider, vous pouvez lui lire ceci…
Et si… être dyslexique n’était pas un handicap mais un avantage ?
Il faut changer le regard que nous portons sur la dyslexie :
– Aux Etats-Unis, 40% des millionnaires entrepreneurs, 40% des self-made man sont dyslexiques.
– 30% des entrepreneurs ont des caractéristiques dyslexiques.
Saviez-vous que Bill Gates et Richard Branson étaient dyslexiques ?
Il est grand temps que nous comprenions tous que la dyslexie est un système différent de pensée, pas un désavantage”
Sir Richard Branson
Rappelez-vous, la prévalence de dyslexiques dans la population générale est de 5% à 10%. Ces chiffres dépassent donc de beaucoup ce à quoi on pourrait s’attendre. Ils sont le résultat d’une étude de Julie Logan, spécialiste de l’entrepreneuriat à la Cass Business School à Londres.
Être dyslexique, d’après le professeur en biomédecine Manuel Casanova (Université de Caroline du Sud), c’est avoir une façon différente de penser, une façon de voir le monde plus large, de le voir dans sa globalité et toute sa complexité, et d’être capable de simplifier les problématiques.
Neuf dyslexiques sur dix décrivent leur pensée comme ayant la capacité de voir au delà des détails et d’apporter une image globale d’un sujet ou d’un problème. Ce n’est pas Einstein qui les contredira, qui n’a su lire qu’à 9 ans
Être dyslexique, c’est posséder une grande créativité, des capacités d’innovations supérieures à la moyenne et une imagination féconde. C’est savoir penser en images. C’est pour cela que beaucoup de dyslexiques sont artistes ou créateurs : Pablo Picasso, Léonard de Vinci, Vincent van Gogh et Mozart étaient dyslexiques. Contrairement à ce que l’intuition nous souffle, l’écriture n’est pas en reste et des écrivains aussi sont dyslexiques : Agatha Christie, Ernest Hemingway, Gustave Flaubert, Jules Verne…
Être dyslexique, c’est être doué pour résoudre les problèmes, c’est posséder de belles aptitudes en mathématiques et en dessin industriel. C’est être capable de très bien visualiser les objets en 3D.
Une recherche conduite par la “Smithsonian Institution” et la “National Science Foundation” en 2011 a prouvé l’existence de liens entre la dyslexie et et les capacités visio-spatiales utiles en astronomie.
Au prestigieux Massachusetts Institute of Technology, la dyslexie est surnommée « the MIT disease ».
On sait aussi que le service de renseignement électronique du Royaume-Uni (le GHCQ) emploie plus de 100 espions dyslexiques pour “leurs capacités logiques et analytiques”.
De nombreux ingénieurs célèbres et architectes sont dyslexiques : Thomas Edison, Alexander Graham Bell et Steve Jobs, le fondateur d’Apple, dont la devise était “Think different”.
Être dyslexique, c’est avoir appris à lutter dans ses études, pour suivre le rythme, rattraper ses camarades, c’est savoir faire preuve d’une persévérance plus haute que la moyenne face aux obstacles qui se dressent dans la vie. Et, dyslexique ou pas, la persévérance est une vertu qui mène à la réussite.
Dans notre société, être dyslexique est donc en réalité un énorme avantage. Il n’y a qu’à l’école qu’être dyslexique est un gros désavantage. Un désavantage qui pourrait être facilement contourné avec des supports adéquats et si l’on se focalisait sur la force des élèves plutôt que sur leur point faible. C’est de plus en plus facile à mettre en place avec les supports vidéo et des cours en ligne.
Face à un enfant dyslexique, changeons de regard, et arrêtons de voir le handicap ! Voyons le potentiel !
Vous avez besoin d’un coup de boost ? Un shoot d’optimisme ?
Voyons le potentiel… mais le quotidien est là et nous rattrape. Vivre la dyslexie au jour le jour n’est pas facile… alors foncez voir ces conférences TED qui font beaucoup de bien (en anglais sous-titré… anglais !) :
– La vidéo de Kate Briggs, The Creative Brilliance of Dyslexia
– La vidéo très inspirante de Dean Bragonier, qui un beau jour a juste été voir les universités de Stanford, Harvard et le MIT pour leur proposer de mettre des cours en ligne pour les dyslexiques. Il en parle dans The True Gifts of a Dyslexic Mind
Sources:
Le MOOC “Etudiants dyslexiques dans mon amphi” préparé et animé par Raphaëlle Abadie (Neuropsychologue, cabinet libéral, CAMSP de Décines), Nathalie Bedoin (Laboratoire Dynamique Du langage, Université Lyon2) et Audrey Mazur-Palandre (Université de Lyon)
Julie Logan, Dyslexic entrepreneurs: the incidence; their coping strategies and their business skills, 2009
Manuel F. Casanova, “Increased White Matter Gyral Depth in Dyslexia: Implications for corticocortical Connectivity.” National Institute of Health, July 9, 2016
Alice Philipson. “GCHQ employs more than 100 dyslexic and dyspraxic spies.” The Telegraph, 21 September 2014
Le site Dix sur Dys : https://sites.google.com/site/dixsurdys/home