Sauvons les petites filles des stéréotypes !

 

Je voulais vous parler aujourd’hui d’une étude passionnante sur l’influence, dans les apprentissages

– de l’environnement social de l’élève dans sa classe

– de la réputation de l’élève

– des stéréotypes

 

Pourquoi vous parler encore des apprentissages ? Parce que nous ne cessons d’apprendre. Et que les trois facteurs Environnement/Réputation/Stéréotype sont des liens invisibles qui impactent les enfants quand ils apprennent. Impossible de s’en défaire, on ne se rend pas compte qu’ils sont là. Et ils nous influencent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Environnement, réputation et stéréotype peuvent expliquer pourquoi des enfants intelligents se retrouvent toujours en échec et pourquoi les petites filles sont statistiquement moins bonnes en maths.

 

L’environnement social des apprentissages

Commençons par le premier point, l’environnement social de l’enfant à l’école, et dans sa classe. On n’apprend pas seul à l’école, mais avec ou à côté de ses camarades et de l’enseignant.

 

Les apprentissages d’un enfant peuvent être impactés par :

– Ce qu’il ressent, ses émotions, ses expériences sociales antérieures, ses motivations, et aussi son estime de lui.

– La présence de ses camarades de classe, la relation et la comparaison avec eux (dont on connaît l’influence massive sur l’estime de soi).

– Sa situation dans la microsociété de la classe (son origine sociale, géographique, d’où vient sa famille, est-il enfant d’immigrés ?)

– Les stéréotypes sociaux favorables ou défavorables à soi (selon le sexe, l’origine sociale, l’origine migratoire ou l’âge). Par exemple, penser que tous ceux qui viennent de la cité sont nuls en maths et bons en foot est un cliché qui va affecter la réussite des enfants qui en sont victimes.

 

Si l’environnement de l’élève qui résout un exercice lui pose un problème, par exemple le regard des autres sur soi, ou celui de l’enseignant, son attention va être mobilisée sur ce problème en plus de l’exercice. Le cerveau de l’enfant est alors en train d’effectuer une double tâche, il est surchargé.

 

Les résultats aux exercices ne traduisent pas uniquement le rapport qu’a l’élève avec le sujet du problème mais aussi le rapport qu’il entretient avec l’environnement dans lequel il doit réaliser l’exercice.

 

Quand on cherche à aider un élève en difficulté, il faut songer à ces différents éléments. Or on en reste souvent au niveau des émotions, des motivations, de ce qui touche l’enfant au niveau affectif, sans aller chercher plus loin la provenance des difficultés de l’élève.

 

Elève-Contexte-Exercice

Utiliser le terme géométrie ou dessin a un impact

On a demandé à 54 élèves de 6ème et de 5ème, 28 “bons élèves” et 26 “mauvais élèves” de regarder la figure ci-dessous pendant 50 secondes puis de la reproduire de mémoire :

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Dans le 1er cas, on a simplement dit aux élèves qu’il s’agissait d’un exercice de géométrie. Pour les élèves en difficulté scolaire, parler de géométrie est la formulation qui risque le plus d’activer des souvenirs d’échec. En faisant remonter à la surface des souvenirs d’échec, le contexte de géométrie est celui qui est le plus couteux en ressources attentionnelles, l’élève se retrouve en situation de double tâche au moment où il doit mémoriser la figure. Les élèves en échec scolaire ont de mauvais résultats si on leur parle de géométrie. Il ne s’agit pas juste de capacités, d’intelligence, de connaissance, car si on dit à ces élèves qu’il faut reproduire un dessin, il n’y a plus de différence dans les résultats !

 

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La tâche étant la même dans les deux contextes, c’est bien la représentation de soi qui est déterminante, cette image de soi qui dépend des réussites ou des échecs scolaires passés. Le contexte peut mettre les élèves dans une vraie difficulté. Attention à la façon dont on présente les exercices !

 

La réputation a la vie dure…

La réputation dans la classe est également un facteur de réussite ou d’échec. Elle favorise la remontée de souvenirs, et facilite l’entrée de l’élève dans un cycle positif ou négatif :

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La réussite ou l’échec réside en partie dans le regard que les autres élèves de la classe portent sur l’élève. Chez les élèves qui savent quelle est leur réputation dans la classe, si elle est bonne ou mauvaise , le test consistant à reproduire la figure géométrique montre ceci :

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Les autres savent que je suis mauvais en géométrie. Alors je ne réussis pas. Mais ils savent aussi que je suis bon en dessin, et là je réussis… Incroyable, non ? L’exercice est le même !

 

Il faut que l’enseignant veille à la réputation de ses élèves. Il doit penser à ne pas favoriser des stratégies d’apprentissage pour les élèves en difficultés qui auraient pour conséquence de rendre encore plus visible le fait que l’élève est en échec.

 

Attention aux stéréotypes sociaux

Les femmes sont sous-représentées dans les disciplines scientifiques. C’est vrai qu’il y a moins de filles dans les classes scientifiques, dans les centres de recherches, et que très peu de femmes ont reçu des prix Nobel en science. On entend souvent dire que les filles seraient moins bonnes en science, en mathématique et en physique.

 

N’importe quoi ! Elles sont victimes de stéréotypes (pour simplifier un peu).

 

Mais d’abord, qu’est-ce qu’un stéréotype ?

Un stéréotype, c’est une croyance que l’on partage avec d’autres, à propos des caractéristiques de certains groupes sociaux. On met des groupes dans des catégories, pour simplifier.

Par exemple, on associe un individu à un groupe : ce grand blond porte un tatouage, donc c’est le signe qu’il appartient à la catégorie des yakuzas, la mafia japonaise.

Autre exemple, on peut attribuer des caractéristiques à un groupe : cet homme fait partie des fonctionnaires, donc il a 15 semaines de congés payés, il ne travaille pas beaucoup et a un petit boulot tranquille !

 

Bref, on augmente les ressemblances au sein d’un groupe, et on amplifie les différences entre deux groupes distincts.

En réalité, que les stéréotypes soient vrais ou pas n’est pas la question. Le problème c’est qu’ils forcent à généraliser, et comme le monde est très varié, faire des généralisations est source d’erreurs. Il y a des femmes faibles en mathématiques et d’autres qui y excellent comme Claire Voisin. Ces généralisations abusives sont très puissantes et peuvent avoir des effets redoutables sur une classe. Ils sont assimilés très tôt par les enfants.

Le directeur de recherche en psychologie au CNRS Pascal Huguet déclare même :

 

Il n’y a plus que des attardés qui puissent imaginer que faire dire à Barbie “je suis nulle en math” et ne jamais le faire dire à Ken le musclé n’a aucune influence sur la petite fille de 6 ans qui joue avec sa poupée.

 

Ce genre de phrase (“Barbie est nulle en maths”) s’imprime dans l’inconscient des petites filles et a des conséquences à l’adolescence lors de l’orientation scolaire des jeunes filles.

 

Le psychologue Claude Steele a montré l’influence des stéréotypes sur les résultats obtenus à un test de mathématiques à Stanford. Il suffisait de dire que le test présentait généralement des différences de résultats selon les sexes pour voir le résultat des filles chuter.

résultat en foncction du sexe
Colonnes jaunes pour les filles – Colonnes rouges pour les garçons

 

Et ne rien dire n’est même pas suffisant, car alors le résultat des femmes reste inférieur à celui des hommes. Le stéréotype est imprimé dans les cerveaux, comme un passager clandestin lors de l’examen. Il faut contrer le stéréotype en disant explicitement : “ce test ne montre pas de différence de résultat entre hommes et femmes”. Dès que le test est difficile et peut créer un doute dans l’élève, alors le stéréotype arrive, change le contexte, sollicite l’attention et des ressources, et provoque la défaillance.

 

Des études ont également été faites en France chez des enfants. On a refait le test de la figure à reproduire avec 20 filles et 20 garçons de 11 à 13 ans, tous bons en maths, en présentant l’exercice dans un cas comme un exercice de géométrie et dans l’autre cas comme un exercice de mémoire.

Les chercheurs ont eu une grosse surprise. En présentant l’exercice comme un jeu de mémoire, ils s’attendaient à rééquilibrer le diagramme et annuler l’effet du stéréotype chez les filles. Or ils ont eu ça :

 

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Étonnant, non ? Est-ce que les garçons souffrent d’un stéréotype “les garçons ont une mauvaise mémoire” ? Les études sont en cours…

 

Conclusion :

Pour réussir en mathématiques et en sciences, les filles doivent faire face à un obstacle supplémentaire : le stéréotype négatif auquel ne sont pas confrontés les garçons. Cet obstacle explique au moins en partie leur désaffection massive en classes préparatoires, dans les universités ou les grands organismes de recherche pour les disciplines scientifiques et techniques. Et même les quelques femmes issues des filières scientifiques de haut-niveau, qui sont contre-stéréotypiques, leur parcours le prouve, souffrent cependant elles-mêmes du stéréotype négatif. C’est prouvé ! L’obstacle subsiste donc jusqu’au bout!

 

Les performances cognitives des élèves, leurs capacités à apprendre, sont en réalité peu dissociables des environnements sociaux et culturels de la classe. Les différences de résultat entre filles et garçons sont véhiculées en partie par les stéréotypes présents dans la société.

 

Alors, sauvons les petites filles des stéréotypes, et présentons les choses sous un aspect positif : “Pour les maths et la physique, les filles, vous êtes aussi fortes que les garçons”

 

 

 

Sources :

Pascal Huguet, “Les stéréotypes de genre : effets sur la cognition (mathématiques / habiletés visuo-spatiales / raisonnement)”, Laboratoire de Psychologie Cognitive /Équipe “Cognition et Contexte Social” (UMR 7190) & Fédération de Recherche 3C (Comportement-Cerveau-Cognition) – Aix-Marseille Université et CNRS

C. M. Steele, “A threat in the air : How stereotypes shape intellectual identity and performance”, American psychologist, vol. 52, no 6,‎ 1997.

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