Allez, hop, au dodo ! Va apprendre !

 

La nuit dernière, j’ai entendu un appel : un “Papa !” au cœur de la nuit. 3h00 du matin ! Je me lève, je grommelle “Oh non… mais qu’est-ce qui se passe encore” ? Je vais voir dans la chambre de ma fille, je la trouve assise dans sont lit, transpirante, tremblante, pleurante, émergent d’un univers parallèle cauchemardesque. Après un gros câlin, j’ai mis Rock-It, le doudou-menhir comme sentinelle à la porte, et, protecteurs eux-aussi, Patapouf le doudou Saint-Bernard et Mr. Brun le grizzli.

 

S’endormir pour conjurer la peur

 

Le jour, la lumière, le crépuscule, les ombres, le noir, la nuit, le cauchemar et les rêves, puis l’aube et le retour du jour…Depuis la nuit des temps, un cycle sans cesse renouvelé, un cycle d’environ 24 heures, aux “alentours d’une journée”, “circa dies” en latin. La quasi-totalité des êtres vivants sur Terre, bactéries, animaux et même plantes vivent à ce rythme circadien. C’est ainsi que lorsque notre étoile disparaît de l’autre côté de notre monde et que l’obscurité grandit, quand viennent les dangers et les bruits de la nuit, les premiers hommes se réfugiaient sous un abri ou en hauteur, pour dormir. Le neurobiologiste Michel Jouvet, grand spécialiste du sommeil, émettait l’hypothèse que la fonction primitive et ancestrale du sommeil était de conjurer notre peur du noir… en nous plongeant dans l’inconscience.

 

Belle idée, vous ne trouvez pas ? S’endormir pour ne pas avoir peur… sauf que…perdre conscience pour évincer sa peur, dans des proportions aussi phénoménales, en moyenne 8 heures par jour, serait une dramatique perte de temps s’il n’y avait pas autre chose…Alors quoi ?

 

Le cycle du sommeil

 

Nous savons maintenant qu’une nuit d’enfant, de femme et d’homme (et même de chat ou de chien) est faite de plusieurs phases, dont les plus importantes sont des phases de sommeil lent alternant avec une phase d’un sommeil dit paradoxal. La lenteur, c’est celle des ondes électriques lentes qui traversent notre cerveau. Et le paradoxe, c’est qu’à un moment bien particulier de notre sommeil, pendant que nous dormons, au plus profond de notre endormissement, quand nos muscles se relâchent et ne répondent plus et que notre corps est totalement inerte, notre cerveau s’éveille en secret et génère une intense activité électrique proche de celle que nous avons le jour. C’est dans cette phase là que ma fille a eu ce cauchemar terrible. Ce devait être la tempête sous son crâne.

 

 

Le sommeil

 

 

 

Une des vertus de la science c’est de donner des explications aux intuitions. Car nous le savons bien par expérience, qu’il se passe des choses là-haut dans notre tête quand nous dormons.

 

Quand j’étais enfant, je trouvais que réciter mes leçons avant de me coucher m’aidait à mieux les savoir le lendemain. Plus tard, alors que j’étais en classe prépa scientifique, je calculais en rêves et rêvais de mathématiques. Dans un de mes premiers emplois, en mission en Allemagne pendant plusieurs mois, je me souviens avoir rêvé en allemand. Mes jours étaient intenses, j’étais le réceptacle de tant de nouveaux savoirs. Mes nuits étaient denses de ces rêves, je chargeais et organisais ma mémoire.

 

Alors le sommeil, un refuge archaïque contre la peur de la nuit noire ? Peut-être…. mais aussi une clé de l’apprentissage permettant la pérennisation des connaissances en cours d’acquisition.

 

 

 

la clé n5 du cerveau sommeil

 

 

 

Nous savons tous que le sommeil est important pour les enfants. Mais pour quelles raisons exactement ?

 

Nous passons un tiers de notre vie à dormir. C’est une durée énorme, il faut bien que cela serve à quelque chose !

 

Commençons par décrire une expérience du neurobiologiste allemand Jan Born et son équipe. En testant leur performance au jeu de memory chez des enfants de maternelle qui ont fait (ou pas) la sieste, les chercheurs ont prouvé que ceux qui ont pu dormir (et qui font régulièrement la sieste) se souviennent bien mieux de l’emplacement des cartes 24 heures plus tard. En revanche, les enfants qu’on a obligé à faire la sieste pour les besoins de l’expérience mais qui ne la font plus en temps normal, car ils n’en ont plus besoin, ne retirent pas de bénéfices de cette sieste. Ils ne deviennent pas meilleurs au jeu de memory.

Et si l’on supprime la sieste aux enfants qui normalement la font tous les après-midi, et que l’on regarde le lendemain leur résultats au jeu de memory, quand ils ont récupéré de l’absence de sieste et que les enfants sont bien reposés après leur nuit, leur mémoire de la position des cartes du memory est très faible et chute rapidement avec le temps qui passe.

 

1ère leçon : la sieste, le sommeil, une bonne nuit, est un besoin physiologique nécessaire aux apprentissages. En maternelle, l’alternance de phases de sommeil et d’éveil est importante. Il ne faut pas non plus obliger les enfants à faire la sieste, il s’agit de laisser faire la sieste à ceux qui en ont besoin.

 

2ème leçon : lorsque l’enfant n’a pas la possibilité de dormir entre sa leçon et le test, lorsqu’on supprime la phase de sommeil suivant l’apprentissage, alors les connaissances nouvelles ne sont pas mémorisées. Lorsqu’au contraire il a pu dormir, ses résultats au test sont bien meilleurs et perdurent plus dans le temps. Au passage, on voit bien que pour les étudiants, rien ne sert de bachoter toute la nuit, et que réserver un temps de sommeil après les révisions est important.

 

Autre exemple, plus personnel : mon fils prend en ce moment des cours de piano, et aime bien répéter le soir avant de se coucher. En rejouant le lendemain, je constate qu’il s’est amélioré, que les mélodies sont plus justes, et qu’il se trompe moins. Si ma femme décidait de lui jouer pendant son sommeil une des deux mélodies, les études montrent que ses performances sur la mélodie entendue pendant la nuit seraient bien meilleures que sur celle qu’il a répété la veille, mais qu’il n’a pas entendue quand il dormait. Au passage, si je fais au piano le même exercice que lui, suivi d’une même période de sommeil, je suis bien moins bon que lui le lendemain ! Les bénéfices du sommeil sont bien plus importants chez l’enfant que chez les adultes. (Et non, il ne s’agit pas que de moi, c’est prouvé !)

 

Encore une chose, à propos de la mélodie de piano qu’il connaît mieux au matin parce qu’on la lui a rejoué en douce pendant la nuit, cela ne marche que parce qu’il a travaillé au piano la veille au soir par lui-même. On n’apprend pas pendant le sommeil, on renforce l’apprentissage. Du coup, pas la peine de lui réciter sa poésie pendant qu’il dort : il ne la connaîtrait pas mieux le lendemain.

 

Une autre intuition validée par la recherche : un problème posé avant de se coucher sera mieux résolu après la nuit par ceux qui ont dormi, comparé à ceux qui n’ont pas pu dormir. Car vous l’avez peut-être expérimenté comme moi, mais les bonnes idées surgissent souvent au réveil, après une bonne nuit, comme la solution de certains problèmes.

 

Résultats des études sur le sommeil :

On voit bien que ce qui compte c’est vraiment le fait d’avoir dormi ou pas pour réussir à restituer les connaissances. Ceux qui ont été privés de sommeil juste après l’apprentissage ont oublié ce qu’ils ont appris, même si les chercheurs les testent plusieurs jours plus tard, alors qu’ils ont dormi et récupéré.

 

Il y a une amélioration très importante de la réussite des exercices après une nuit de sommeil, sans apprentissage supplémentaire. Cela permet d’automatiser les connaissances, de passer d’une démarche consciente, d’un effort dans l’utilisation des nouvelles compétences apprises à une utilisation sans effort et inconsciente de ces nouveaux savoirs. Et faire et agir de manière inconsciente a un gros avantage : cela libère des ressources afin de se consacrer à d’autres tâches.

 

Autre donnée de la science : si l’on réveille la personne en plein sommeil paradoxal, alors il n’y a aucun renforcement de l’apprentissage. Le sommeil paradoxal est essentiel pour stocker en mémoire ce que nous avons appris.

 

Le sommeil est très important pour :

– consolider les apprentissages

– renforcer le sens de ce que l’on a appris

– mémoriser dans le temps les nouveaux savoirs

– automatiser nos savoirs et nos actions.

 

 

Mais alors, que se passe-t-il pendant que l’on dort ?

Et bien le voilà, le scoop. Pendant le sommeil, le cerveau se modifie. Oui, oui, réellement !

Nous avons vu que le cerveau est plastique, que des connexions se créent ou se défont. C’est ce que le sommeil favorise après un apprentissage : il y a création de nouvelles connexions neuronales dans les zones concernées par l’apprentissage (apprentissage moteur, mathématique, artistique).

En outre, les cellules activées pendant l’apprentissage sont réactivées pendant le sommeil, et leur activation suit la même séquence que lors de l’apprentissage. Ainsi, le cerveau rejoue pendant la nuit ce qui s’est joué le jour, plusieurs fois, à toute vitesse. On se refait le film en accéléré. Cela se passe dans une petite zone du cerveau appelée l’hippocampe.

 

En repassant les connaissances du jour en accéléré, notre cerveau transfère nos nouveaux savoirs dans une mémoire à long-terme. Moralité : il faut répéter, et répéter encore, pour intégrer en mémoire ce que nous apprenons.

 

Et donc, il faut retenir que :

Le sommeil est une clé de l’apprentissage, son rôle est très important dans tous les domaines : moteur, perception, connaissance et reconnaissance de formes.

Il faut faire attention à la qualité et la durée du sommeil.

Le sommeil doit survenir dans les heures qui suivent l’apprentissage. Le cerveau a besoin de sommeil correspondant à l’intensité des apprentissages en cours.

Cas particulier : les adolescents ont naturellement un sommeil décalé ; ce ne serait pas idiot d’imaginer des horaires décalés des cours à l’école…

 

Pour les parents :

Il faut veiller au sommeil de nos enfants en guettant les premiers signes de fatigue ou d’endormissement sous peine de ne pas respecter leur rythme naturel. Rater le bon moment, c’est aller se coucher en phase d’éveil. Ce n’est pas seulement retrouver des enfants grognons le lendemain matin, c’est aussi gaspiller ce que la journée leur a appris.

 

Et quand même, pour finir, cette extraordinaire nouvelle : puisque nous dormons tous les jours, enfants et adultes, nous pouvons tous apprendre tous les jours. Ce n’est pas génial, ça ?

 

 

 

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