Les tours de magie sont fascinants ! Voir sortir un lapin d’un chapeau ou une grande échelle d’une petite malle chamboule nos certitudes. Enfant j’y ai cru : pourquoi la grande échelle des pompiers ne pourrait-elle pas sortir d’une valise ? Puis grosse déception : j’ai appris que ce n’était pas possible. J’ai aussi appris par l’expérience qu’un objet chute vers le sol quand on le lâche ou qu’il n’est pas possible de retourner à son point de départ en descendant continûment un escalier. C’est pour cela qu’une expérience en apesanteur ou que les illusions d’optique d’Escher nous surprennent.
En se basant sur ce que nous avons appris, nous tirons sans cesse des conclusions ou des conséquences des faits ou des événements que nous observons. C’est ainsi que notre cerveau génère en permanence des prédictions sur le monde extérieur, présuppose, anticipe ce qui va arriver, et compare nos attendus avec la réalité. Dans le cas d’une erreur, quand la réalité diffère de la prédiction, la comparaison génère une surprise. Un enfant qui découvre le monde va de surprise en surprise, d’étonnements en étonnements. L’enfant s’auto-corrige alors pour que la prochaine fois, sa prédiction, son attente, soit plus proche de la réalité. L’apprentissage cesse lorsque l’erreur ne survient plus.
Apprendre c’est réduire l’écart entre nos images préconçues et la réalité du monde. Apprendre pour l’enfant c’est d’abord faire des statistiques, des probabilités sur la survenue de tel ou tel événement, et parier sur un résultat.
Après avoir vu la plasticité du cerveau et la première clé de l’apprentissage, l’attention, découvrons ensemble dans ce troisième volet de notre série une autre clé des apprentissages.
Pour générer ces anticipations, ces prédictions, ces statistiques sur la survenue de l’événement ou la conclusion la plus probable, l’engagement actif de l’enfant est un enjeu essentiel de l’apprentissage.
Alors qu’est ce que l’engagement ?
“Engagez-vous, rengagez-vous”, disent les Romains désabusés dans les albums d’Astérix, se remettant bien à contrecœur au service de l’armée de César. Ces soldats qui engagent le combat comme les footballeurs qui jouent la balle d’engagement se lancent dans l’action.
Quand je rentre chez moi et suis sur le point d”engager la clé dans la serrure, je suis à un point de bascule. En franchissant le seuil, je passe de l’extérieur vers l’intérieur, du froid au chaud, du bruyant au calme et de la sphère publique vers un lieu privé.
Les alpinistes, les sportifs de l’extrême qui se lancent dans des voies engagées, passent un contrat avec eux même, se font la promesse de réussir, sous peine de mettre leur vie en péril. Eux aussi passent à l’action. Ils y vont parce-qu’ils savent avoir les compétences et qu’ils ont confiance en eux.
Dans le domaine de l’éducation, l’engagement actif de l’enfant, c’est un peu tout cela à la fois. L’enfant qui s’engage dans un apprentissage passe à l’action. Il montre sa volonté de s’impliquer. Il participe, saisit, attrape, manipule. Il s’intéresse, suit le cours, intervient, et fait tout cela avec confiance : il ne doute pas de ses capacités car sinon il resterait en retrait. Il se met au service de lui-même.
En réalité, l’engagement est toujours actif. S’engager, c’est passer à l’action, c’est entrer dans le jeu. Et même s’il ne s’agit que de pensées, c’est une démarche volontaire.
Un enfant passif n’apprend pas, ou extrêmement peu. Être actif, pour un enfant qui apprend, c’est s’impliquer dans l’apprentissage. L’action dans cet engagement nécessaire à l’intégration des connaissances n’est pas uniquement intellectuel. Il s’agit de mobiliser le corps tout entier, il faut expérimenter, utiliser les mains, manipuler les objets. Être immobilisé sur une chaise, écouter sans bouger, met un frein à ce que l’enfant peut apprendre.
Chez moi, je peux faire des mathématiques en faisant la cuisine avec mon enfant, en jouant avec lui à mesurer et peser les ingrédients. C’est aussi un moment de partage qui renforce l’apprentissage… et d’accomplissement quand le gâteau au chocolat sort du four !
Je peux faire de la physique newtonienne en jouant au ballon, essayant de l’attraper avant que la gravité ne le fasse “disparaître” au centre de la terre. Je peux faire de la chimie en soufflant des bulles de savon ou de la mousse dans le bain.
Etre actif, pour un enfant c’est être intéressé, motivé, c’est jouer pour mieux apprendre. Dans une classe, c’est avoir des groupes de discussion, des “conseils”. C’est impliquer les enfants dans les décisions de classe et le contenu du cours. Pourquoi imposer un exposé sur les volcans si l’enfant désire en faire un sur les tornades ? C’est faire participer et intervenir les étudiants. Le philosophe Charles Pépin explique, dans son ouvrage “La confiance en soi”, comment il permet à ses étudiants de se dépasser et d’apprendre. Interrogés, les élèves acculés trouvent en eux des ressources insoupçonnées pour répondre, réfléchir… et apprendre. Rendre les apprentissages plus difficiles oblige souvent les étudiants à plus d’engagement, et résulte dans une meilleure mémorisation des connaissances.
Etre actif, pour un enfant, c’est aussi pouvoir tester ses connaissances. Les tester, c’est les rendre vivantes, c’est souvent en voir l’aspect pratique.
Sur un mois d’école, les études montrent que les enfants qui retiendront le mieux ce qu’on leur a enseigné sont ceux qui auront été testés très régulièrement. Ceux qui auront testé leurs connaissances toutes les semaines conserveront mieux en mémoire ce qu’on leur a appris, mieux que ceux qui n’auront été testés que toutes les deux semaines, et bien mieux que ceux qui n’auront eu aucun test. On pourrait penser que les périodes de tests réduisent les périodes d’apprentissage. En effet, pendant un test on ne donne à l’enfant aucune nouvelle connaissance. En réalité les périodes de test font partie intégrales de l’apprentissage. Souvent, parents, enfants ou étudiants ne sont pas conscients de l’intérêt des tests : ils croient que c’est étudier, plancher sur les cours qui va les aider alors que ce sont les exercices qui apportent l’aide la plus efficace.
Enfin, une des façons de garantir la motivation et l’engagement actif de l’enfant est de suivre l’enfant dans ses découvertes et ses intérêts. Le parent a alors le rôle de guide, il étaye, enrichit et oriente les connaissances que l’enfant découvre, pour l’encourager et développer sa curiosité. En clair, il faut du sens ! Calculer 150 + 350, aucun intérêt ! Mais calculer 150g de sucre + 350g de framboise, miam, là c’est bien plus prometteur. Tout le ressort de l’Instruction En Famille est là : il faut utiliser chaque élan de l’enfant comme une passerelle vers un nouveau savoir et un nouvel apprentissage.
Encore une petite chose : impliquons-nous, nous aussi, avec l’enfant dans son projet. Surfons sur la vague ! En embarquant avec lui dans ce qu’il apprend, en suivant notre enfant dans son élan, nous lui montrons notre confiance dans ses choix, nous renforçons son estime de lui et sa persévérance.
Conclusion
Nous apprenons le mieux lorsque nous sommes participatifs, engagés, motivés par les résultats. La satisfaction intérieure d’avoir correctement interprété la situation imprègne la connaissance dans notre cerveau, ancre les savoirs Moralité ? Faisons les choses à fond, encourageons les enfants à ouvrir les livres, à feuilleter les pages, à tester. Rebondissons sur leurs questions, ouvrons les sujets sur l’art et la science. Engageons nous dans des activités qui les motivent, et tant pis pour les lacunes que nous pouvons créer en négligeant les sujets pour lesquels ils ont peu d’intérêt. Les connaissances arriveront un jour, en leur temps… et en celui de l’enfant.
Sources :
- Les cours de S. Dehaene au Collège de France.
- La confiance en soi – Charles Pepin, Allary Edition.