On apprend à tout âge, qu’on soit enfant ou sorti de l’enfance. On apprend à tout moment, qu’on soit à l’école ou chez soi. Nous passons notre vie à apprendre, par nos expériences, par la pratique, par nos relations aux autres. Nous apprenons des savoirs académiques, des savoir-faire et des savoir-être.
Le cœur n’est plus comme au Moyen-Age le siège de nos émotions, de notre raison et de notre intellect. Depuis le 19ème siècle, “apprendre par cœur” ne reflète plus la réalité. Le cerveau a pris le relais du siège des apprentissages. Que peut nous dire la science sur la façon dont fonctionne notre cerveau, de quelle façon apprenons nous ?
Cet article se base grandement sur le cours de psychologie cognitive et neurosciences de Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France. Le scientifique y explicite les fondements cognitifs des apprentissages scolaires.
Dans un article précédent, j’ai parlé de la plasticité du cerveau, cette capacité que notre cerveau a de se transformer au fur et à mesure que nous découvrons, assimilons et apprenons. Mais nous n’apprenons que si sommes attentifs, un peu, à ce qui se passe autour de nous, à ce que nous voyons, touchons, écoutons. L’attention est une clé de l’apprentissage.
“Attention !“ peut-on crier à celui ou celle qui traverse la rue sans regarder. Ce “Attention” est une alerte. La personne qui le reçoit passe en mode “vigipirate” ! Elle scanne, scrute et sélectionne la source de danger potentiel, puis agit et réagit en fonction de ce danger. Ici, l’attention semble liée à l’action.
Pourtant, on dit de l’enfant inattentif qu’il est agité, dispersé, distrait ou dissipé. Bref, il bouge, il est actif. Faire attention, en milieu scolaire, c’est plutôt le contraire de l’action. L’enfant réputé attentif est immobile, concentré, vigilant. Étymologiquement, il “tend l’esprit vers” l’objet du cours, ou vers le nouveau jouet qu’on lui a offert.
Les scientifiques définissent l’attention comme l’ensemble des mécanismes qui permettent de sélectionner et de traiter une information.
Comme nous ne pouvons être attentifs à tout et à tous en tout instant, comme nos pensées divaguent et zappent d’un sujet à l’autre, comme nous pensons à 3 milliards de choses en même temps:
il nous faut un signal d’alerte, quelque chose qui nous dise QUAND faire attention.
C’est la sirène d’alarme, la cloche de l’école, le son de la petite cuillère que l’on tapote contre le verre, la télé qui s’allume, le générique du film qui commence, la musique du jeu vidéo qui se lance, le klaxon dans la rue, la lumière qui se tamise quand la conférence débute, les panneaux routiers en rouge… Pour l’enfant, c’est aussi la porte de la classe qui se ferme, ou l’enseignant qui comme tous les matins salue sa classe.
Quand le signal est reçu et compris, nous entrons dans un mode réceptif, prêt à accueillir les informations. C’est la réouverture de la plasticité cérébrale. Alors, inutile de nous énerver quand nous surgissons près de nos enfants concentrés dans leur jeu ou dans un livre, et qu’on nous leur demandons à brûle-pourpoint de ranger leurs chaussettes ! Sans alerte, sans une main posée sur l’épaule par exemple, nous pouvons être sûr qu’ils ne seront pas très réceptifs.
“Quoi, quoi, quoi, qu’est ce qu’il y a ? “ Et oui, une fois alerté, l’enfant que l’on sort de son activité peut réagir ainsi. Il faut l’orienter, l’alerte n’a pas de sens sans sélection d’un sujet à traiter.
Il faut savoir à QUOI faire attention, sous peine de passer complètement à côté du sujet.
En effet, lorsque nous sommes engagés dans une tâche les stimuli non pertinents peuvent devenir complètement invisibles. Nous pouvons être aveugles si notre attention est mal orientée. Non seulement nous ne voyons pas certains éléments, mais nous sommes absolument convaincus que si ces éléments avaient changé nous les aurions vu.
Démonstration avec ces deux petites vidéos (en anglais) du chercheur Daniel J. Simons, un chercheur spécialisé dans les mécanismes de l’attention. La première est une célèbre expérience, la deuxième est moins connue. Elles sont toutes les deux fascinantes car elles prouvent à quel point nous pouvons être aveugle à ce qui nous.entoure.
Ces exemples montrent que nous surestimons en permanence notre capacité attentionnelle. Qui aurait cru s’y faire prendre ? Et nous la surestimons aussi chez les autres : l’enseignant ne peut pas croire qu’un enfant qui regarde le tableau ne voit pas ce qu’il a sous les yeux. Je suis sûr qu’à vous aussi cela vous est déjà arrivé de dire à votre enfant “mais tu ne l’avais pas vu? “ en parlant de la porte, de la chaise dans laquelle il vient de se faire mal, de l’objet, d’une autre personne. Ou alors, en montrant l’énorme oiseau noir sur la branche, à quelques mètres : “là, tu ne le vois pas l’oiseau, regarde, voyons, là, sur la branche”
Nous avons tendance à oublier ce qu’est un petit enfant qui n’a pas encore appris, dont l’attention se tend dans de nombreuses directions, et nous ne prenons pas en compte ces phénomènes attentionnels.
Les deux vidéos montrent bien qu’il faut choisir ce que nous voulons voir, qu’il faut choisir ce qui nous intéresse. Car simplement, et de façon que je trouve très étonnante, nous n’arrivons pas à tout voir. En suivant l’enquête policière dans le deuxième film, nous avons, par habitude, par réflexe, choisit de suivre l’intrigue. Le décor n’est qu’un cadre, un enrobage auquel nous attribuons moins d’importance… et nous nous faisons piéger !
Alors pourquoi choisir une information plutôt qu’une autre ? Parce que notre cerveau n’a pas des capacités illimitées et qu’il hiérarchise les informations. Il doit en éliminer certaines pour ne pas saturer et mieux traiter celles qu’il conserve. Quand je regarde ces vidéos une deuxième fois, je sais quoi voir, et même en essayant de jouer le jeu, je repère le gorille et les changements de décor. Faire attention c’est donc sélectionner ce vers quoi tendre notre esprit.
Dans l’enquête policière, une des conséquences de mon intérêt pour l’intrigue est le fait que je porte principalement mon attention vers le détective. Il est la figure majeure de l’histoire, le fil conducteur. Lorsqu’il regarde un autre protagoniste, dans une direction, je regarde avec lui. Quand il fait un geste, je me focalise sur ce geste, je le fais en quelque sorte virtuellement avec lui. Ma concentration s’est bien éloignée des objets constituant la scène (et c’est bien pour cela que je rate tout ce chambardement). Mon attention s’est fixée sur le personnage qui renforce ce à quoi je dois faire attention.
Nous savons bien également, chez nous, que notre bébé suit notre regard et se focalise sur ce que nous regardons. Par notre regard, parce-que nous sommes à côté de lui, nous avons orienté son attention vers un objet, un jouet, qu’il aurait pu ignorer sans notre présence. Et cela marche aussi avec une petite grimace ou un sourire.
La présence de l’autre permet de renforcer l’attention de façon spectaculaire.
Ainsi, une étude a montré que les enfants américains de moins d’un an sont capables de conserver après l’âge d’un an les discriminations tonales du chinois lorsqu’elles sont apprises en présence d’une professeure de chinois, mais ils ne sont pas capables de le faire lorsqu’ils apprennent le chinois avec une vidéo de cette même professeure de chinois. Les mots étrangers sont appris par les enfants lorsqu’ils sont prononcés par une personne, et oubliés sinon. Il y a quelque chose qui manque avec la vidéo, peut être la conscience du fait que ‘l”on est en train de m’apprendre quelque chose”. Voilà qui est rassurant pour les professeurs de langues, leur présence est essentielle.
Pour le scientifique, ces mécanismes de l’attention peuvent guider l’enseignant dans sa façon d’être :
L’enseignant doit donc créer des matériaux attrayants mais qui ne distrait pas l’enfant de sa tâche primaire. Il doit prendre garde, dans les exercices donnés, à ne pas demander aux enfants de faire deux choses en même temps, notamment pour les enfants dys ou en difficulté qui n’ont déjà pas assimilé des tâches premières et à qui on redemande autre chose. Il faut alors simplifier la situation pour libérer des ressources attentionnelles et redonner à l’enfant des capacités d’apprendre.
L’enseignant, par son attitude, détermine l’attention de l’enfant. Pointer du doigt, pointer du regard va attirer l’attention de l’enfant et lui dire: ça, ce que je pointe, ce que je te dis, est important.
L’enseignant doit veiller à s’attacher l’attention de l’enfant en établissant un contact visuel ou verbal. C’est un élément clé du comportement de l’enseignant qui renforce énormément l’apprentissage.
Je viens de vous parler du QUAND et du QUOI, QUAND être attentif et à QUOI être attentif. C’est très bien mais une fois que je suis attentif à un sujet précis, à des informations, à des stimuli qui me parviennent, qu’est-ce que je fais ?
Je dois alors savoir COMMENT traiter cette informations.
La question du COMMENT est une question complexe pour l’enfant. Imaginons la situation suivante : j’offre une boîte de Lego à mon fils alors qu’il est en train de lire son histoire de dragon préférée.
Je l’alerte : “eh Loulou, regarde j’ai un cadeau pour toi, ”. Voici pour le QUAND.
J’annonce : “ta boîte de Lego est enfin arrivée”. S’il daigne lever la tête et abandonner les dragons à leur sort, quelques secondes au moins, il va regarder la boite que je lui tends, boîte qui devient en cet instant l’objet de toute son attention: voici pour le QUOI.
Mon fils va ensuite réaliser les tâches suivantes :
– résoudre un conflit : continuer à lire ou prendre les Lego
– planifier ses actions : retourner à sa lecture ou continuer à lire plus tard, commencer les Lego ou les faire plus tard.
Les Lego exercent un attrait trop puissant, il décide de se lancer dans la construction de la navette Star Wars. Cela met en jeu de nombreuses capacités où le contrôle et le maintien de l’attention sont nécessaires.
– maintien d’un but : terminer le Lego si possible sans se disperser par l’odeur du gâteau dans le four ou les cris de la petite sœur.
– sélection des actions pertinentes : ouvrir les sachets numérotés un à un, les vider dans des récipients distincts.
– inhibition des actions inappropriées : déballer tous les sachets en vrac en déballant tout sur le sol.
– détection et correction des erreurs : savoir revenir en arrière sur sa construction quand le plan devient incohérent avec ce qu’on a en main.
COMMENT conserver son attention pour traiter et agir en fonction des informations que nous avons retenues, ou poursuivre dans l’activité que nous avons choisie, c’est ce qu’on appelle le contrôle exécutif. Au cours du développement l’enfant apprend à se contrôler et à renforcer les bonnes stratégies en inhibant les mauvaises.
Un exemple pour le petit enfant:
Dans la figure ci-dessus, l’enfant a du mal à inhiber l’information de longueur et à réaliser qu’il y a le même nombre de ronds bleus sur les deux lignes. Pour nous adultes c’est évident, nous voyons les deux lignes d’un seul coup d’œil et concluons. Pour le jeune enfant qui ne sais pas encore regarder le dessin dans sa globalité, il faut apprendre à conserver son attention suffisamment longtemps pour compter chaque rond au lieu de conclure trop vite qu’il y a plus de ronds bleus sur la ligne du bas que sur celle du haut.
Un autre exemple avec l’énoncé du problème suivant : “Dora a 20 bonbons, c’est 5 de plus que Chipeur”. Sentez-vous vous aussi cet élan fragile qui pousse à répondre 25 ? Il faut que l’enfant résiste à l’envie d’additionner 20 et 5. L’apprentissage ne consiste pas seulement à exécuter les calculs mais à établir une stratégie et à s’y tenir.
L’apprentissage du contrôle exécutif est un bénéfice majeur pour l’enfant:
– Il travaille sa capacité à inhiber un comportement indésirable
– Il apprend à rester concentré sur une tâche en présence d’une distraction
– Il sait résister, ou arbitrer, un conflit
– Il augmente sa mémoire de travail
Porter son attention sur un sujet en particulier est donc une combinaison de 3 facteurs successifs :
– la sélection : nous avons choisi de nous intéresser à une quelque chose de précis parmi tous les stimuli et centres d’intérêts qui nous entourent.
– l’action : comment répondre à l’objet de notre attention, que faire. Ce peut être répondre à une personne, se concentrer sur une leçon, surveiller l’heure ou le lait sur le feu…
– l’endurance dans l’action : il s’agit de poursuivre l’effort, dialoguer dans la durée, lire toutes les pages du cours, garder un œil sur l’horloge ou sur la casserole en poursuivant des activités parallèles.
Dans un entretien avec Thierry Brunel rapporté dans “Adultes sensibles et doués – Trouver sa place au travail et s’épanouir”, le neurologue Eric Konofal explique que les conséquences d’un trouble de l’attention peuvent être de trois sortes, selon le facteur sur lequel porte le trouble :
L’anxiété découle d’une mauvaise sélection de l’objet sur lequel on porte son attention. L’individu sélectionne mal mais agit et poursuit son effort tout en ayant une part de lui qui sait qu’il porte son attention sur un mauvais sujet, et cela le rend anxieux.
C’est le cas, par exemple, d’un enfant consciencieux à qui il ne reste que 10 minutes pour réviser sa leçon avant de partir à l’école, mais qui choisit tout de même de lire sa BD ou qui procrastine sur le canapé. Il devient anxieux.
Si l’individu sélectionne correctement et est capable de soutenir son effort sur l’objet de son attention, mais qu’il ne sait pas bien réaliser l’action, qu’il n’y arrive pas, cela touche son humeur, il va se dire qu’il est nul. Cela va créer une autre forme d’anxiété, l’anxiété de performance qui peut même aboutir à un état d’anxiété généralisée.
C’est ce qui va arriver à l’enfant qui ne réussit pas à faire un exercice de math. Il va se dire : je suis nul, je n’y arriverai jamais, Il va perdre confiance en lui.
Enfin, si l’on porte l’attention sur le bon sujet, si la sélection est juste, et que l’action est bonne, mais que l’on fatigue, que l’on ne parvient pas à aller jusqu’au bout de la démarche entreprise, alors c’est l’estime de soi qui est touchée.
Dans ce dernier cas, l’enfant saura faire quelques exercices de math, mais sera incapable de soutenir l’effort nécessaire pour terminer tous les exercices, et cette incapacité va attaquer son estime de soi.
Faisons attention à l’attention ! Un manque de confiance ou d’estime de soi, de drôle de choix qui peuvent sembler illogiques, quand tout va bien par ailleurs, c’est peut-être un trouble de l’attention.
Pour conclure, l’attention et le contrôle exécutif, cela ne concerne pas que les enfants! Les parents qui ont aussi été sensibilisés et entraînés, qui sont capable de gérer leur stress, de ne pas crier, de parler en s’écoutant, chacun leur tour, favorisent le développement des capacités à l’attention chez leurs enfants.
Sources :
– Collège de France, cours de psychologie cognitive – Stanislas Dehaene
– “Adultes sensibles et doués – Trouver sa place au travail et s’épanouir” – Arielle Adda et Thierry Brunel,édition Odile Jacob, 2015