A une amie qui attendrait son premier enfant, je dirai “Bon voyage, et bienvenue dans l’aventure !”
Car si l’odyssée d’Ulysse a duré 20 ans, pour nous, l’odyssée quotidienne qu’est l’exercice d’une parentalité bienveillante se poursuit… et ne s’arrêtera pas même lorsque nos enfants à 20 ans auront acquis autonomie, savoir-être et savoirs-faire, et qu’ils pourront voler de leur propres ailes en suivant une trajectoire qu’ils auront choisie.
Une trajectoire qu’ils auront choisie… Certains pourraient penser que c’est simple et facile, mais combien de parents orientent sans s’en douter, par de petits commentaires “innocents”, les choix de leurs enfants ? Nous projetons nos désirs sur leur parcours: “ce serait bien si tu allais à la fac”, “je te verrai bien en école d’ingénieur”. Il est compliqué d’éviter ce piège car des intentions cachées et des orientations déguisées peuvent facilement se dissimuler dans des remarques telles que “toi ma fille, tu es vraiment douée pour le dessin ” ou “tu es vraiment fort en sciences, dis donc !”
La frontière est souvent floue entre informer l’enfant des différentes voies qui s’ouvrent à lui et l’influencer dans ses choix.
Une amie qui suivait divers modules dans des domaines variés de plusieurs cursus universitaires, se constituant un assemblage hétéroclites de compétences et de connaissances, m’a dit un jour: “j’ai fait des études pour me faire plaisir”. J’ai été foudroyé et cette phrase résonne encore en moi 20 ans plus tard. Quelle chance d’avoir pu considérer ses études sous cet angle ! Elle a pu développer ses talents en suivant ses intérêts et ses passions.
Plus généralement, au delà de la trajectoire éducative, un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas, dit Lao-Tseu dans le Tao Te King.
Alors, dans l’odyssée de la vie (cela vaut bien mille lieues), comment aider nos enfants à emprunter à chaque pas le chemin de vie qui leur convient le mieux, pas après pas ?
Le premier pilier, la souveraineté :
La souveraineté c’est la liberté de choix qui permet à l’enfant de montrer qui il est vraiment et de trouver sa propre voie.
La souveraineté, c’est être qui on est vraiment et devenir qui l’on peut devenir, se montrer sous sa vraie forme et trouver son propre chemin.
Ces deux citations* définissent la souveraineté comme la possibilité de choisir.
Nous faisons un cadeau à nos enfants en les laissant choisir.
Le choix, c’est la capacité de s’engager dans une voie ou dans une autre, sans contrainte, sur la base de données, d’informations qui une fois analysées, nous orientent vers la direction qui nous convient le mieux. En les laissant réfléchir avant d’agir, en les laissant choisir (de leur orientation scolaire à la couleur de leurs chaussettes), nous leur rendons service en leur faisant goûter à la liberté. En ayant confiance en leur choix, nous gonflons également leur confiance en eux. Cette confiance en eux, nous pouvons aussi la construire, encore plus, en respectant leur souveraineté de décider quand le choix réfléchi est impossible, quand les informations ne sont pas suffisantes pour choisir, quand il n’y a ni pour ni contre. En laissant ma fille décider entre rester à la garderie après l’école ou manquer son cours de yoga, ou entre inviter sa copine Léonie ou sa copine Albertine, je respecte sa souveraineté et lui permet de construire, par petites touches, sa confiance en elle.
Comme le sait ou l’apprend vite tout parent, chaque enfant vient au monde avec ses propres attributs, son tempérament, son génie. En tant que parent, nous devons reconnaître en chacun d’eux un être unique et l’honorer en l’accueillant tel qu’il est, sans vouloir le changer, si difficile que cela soit parfois pour nous. Puisqu’ils sont déjà par nature en constante mutation, c’est ce genre de conscience de notre part qui est nécessaire pour leur permettre de grandir et de se transformer pour le mieux, sans imposer un changement voulu par nous.
Les enfants naissent doté de souveraineté dans le sens où ils sont parfaitement qui ils sont. Si la souveraineté est fondamentale dans notre nature d’être humain, notre capacité à la ressentir et en tirer parti s’approfondit au cours de notre vie, et cela commence avec la manière dont on nous traite dans notre enfance.
L’expérience de la souveraineté s’accroît à mesure qu’un enfant apprend à rencontrer le monde avec force et assurance, se sachant aimé et aimable, accepté tel qu’il est, pour ce qu’il est.
La souveraineté des enfants, notre souveraineté d’adulte, c’est donc connaître notre vraie nature, nos qualités intrinsèques, notre patrimoine de base, intransférable et intransféré. Il s’agit du patrimoine qui n’est pas acquis par la culture, apporté par l’éducation ou le milieu social. Ne pas reconnaître notre vraie nature et celles de nos enfants pourrait nous faire passer à côté de notre vie, à côté de la leur. Accorder à nos enfants leur souveraineté ne signifie pas qu’ils peuvent tout décider, tout obtenir, faire ce qu’il veulent et satisfaire tous leur désirs. Parents, nous devons aussi respecter notre nature. Tout l’art de la souveraineté est de réussir à voir au delà des apparences.
Le deuxième pilier, l’empathie :
La capacité à voir l’autre, à lire le corps, à déchiffrer le visage de notre enfant, à comprendre ses émotions au moment où il les ressent et à ressentir ce que nos enfants ressentent à un instant donné, à s’imaginer à la place de nos enfants, dans leur vie, dans cet instant présent, cette extraordinaire capacité est ce qu’on appelle l’empathie.
L’entretien constant de liens d’empathie avec nos enfants est la base du métier de parents en pleine conscience. Voir les choses du point de vue de notre enfant peut nous guider dans nos choix et nous aider à apporter une présence compatissante à chaque instant.
Comment témoigner de l’empathie à un enfant lorsqu’il est en colère, qu’il hurle et que la situation dérape ? Quant tout va bien, témoigner de l’empathie est simple. C’est quand tout va mal et lorsque l’enfant en a le plus besoin que nous avons le plus de difficultés à fournir cette empathie. Quand nous sommes contrariés, épuisés, à court d’idée, nos tentatives de calmer le jeu peuvent échouer.
Si alors nous sommes capables d’identifier la source de notre exaspération, d’identifier les sentiments qui nous agitent et que la situation provoque, si nous sommes capables de nous poser la question : “pourquoi est ce que je réagis ainsi ? “, alors il est possible de créer une bulle où le fracas du monde (ou le fracas dans le salon !) est atténué. Alors il devient possible de témoigner de la compréhension et de l’empathie envers nos enfants. Ne pas s’impliquer, ne pas s’inclure, garder de la distance, rester observateur, voilà ce qui peut laisser de l’espace pour l’empathie.
Sauf que.. sauf que.. comment créer cette bulle protectrice ? Comment vaincre l’ennemi principal, notre impulsivité et nos réactions réflexes en cas de crise ?
Voici quelques astuces qui peuvent aider :
– Respirer, respirer, respirer ! Inspirez calmement, souffler, inspirez, soufflez…
– Vous pensez peut-être “encore, ce n’est pas vrai, ça recommence”, alors rappelez vous la dernière fois où une situation de ce genre est survenue, et ce que vous avez fait, rappelez vous votre plus bel échec ! Souvenons-nous comment, parfois, à posteriori, l’on peut se sentir honteux de nos réactions, de nous-même, à quel point on peut se dire “sur ce coup là, j’ai été nul, et le résultat, pfff…, totalement inefficace.” Cela donne envie de faire mieux, non ?
– Sortez de la pièce quelques minutes ! Vous éviterez de faire peur à votre enfant avec votre colère ! Et prévenez votre enfant de votre départ, expliquez-lui que vous vous rendez juste dans la pièce d’à côté mais que vous serez de retour pour lui dans quelques instants.
– Préparez-vous à retourner dans l’œil du cyclone, mais retournez-y bien plus calme.
– Enfin, en dernier ressort, passez le relais : “Ma chérie, pour le bien des enfants (et pour ma survie), j’ai besoin de toi, je n’y arrive pas, je te passe le relais. A l’aiiiiiide !”
Deux piliers ne sont pas suffisants pour assurer à un édifice une base stable, les architectes vous affirmeront qu’il en faut au minimum trois. Et nous parents sommes un peu des architectes, nous construisons une famille. Un pilier de plus est nécessaire.
Le troisième pilier, l’acceptation :
Ces trois valeurs (souveraineté, empathie, acceptation) sont complémentaires et liées entre elles comme les trois côtés d’un triangle équilatéral.
L’acceptation est une orientation intérieure qui reconnaît et admet que les choses sont ce qu’elles sont, même si elles ne sont pas ce que nous voudrions, si terribles qu’elles puissent parfois sembler.
Accepter, c’est donc comprendre que tout ne peut pas se passer comme nous aurions envie que cela se passe. L’anticipation, la planification, les prévisions sont souvent mises en échec. Il faut donc savoir lâcher-prise.
Si nous supposons que le comportement difficile de l’enfant a une raison sous-jacente, même si nous ne la comprenons pas immédiatement, nous pourrons peut-être mieux l’accepter.
Bien sûr, quand un nourrisson trépigne et hurle, quand une écolière claque les portes, ce n’est pas le meilleur moment pour se demander ce qui se passe vraiment. Il faut d’abord traverser la crise. Quelle que soit la raison, quand les enfants sont perturbés, ils ne sont pas en état de réfléchir. Ils sont immergés dans des sentiments très forts et ils ne veulent pas qu’on raisonne avec eux. Ils ne peuvent nous entendre et encore moins nous comprendre, comme nous le confirme aujourd’hui les spécialistes du cerveau. Ils ont besoin que nous restions avec eux pendant la durée de l’orage, et nous ne devons pas perdre notre propre centre parce qu’ils ont perdu le leur.
Nous sommes un grand chêne qui sert d’abri, un ami solide et protecteur, qui ne comprend pas forcément, qui n’a pas forcément les réponses, mais qui offre une présence sympathique. Une fois l’orage passé, il est temps de se demander ce qui se passe. Nous devenons alors des détectives. Nous enquêtons sur la source possible de leur malheur, de leur déséquilibre. Se situe-t-elle à l’école ou à la maison ? Est-elle physique, affective, ou les deux à la fois ? Est-ce dû à une cause simple, la fatigue, la faim, une stimulation excessive ou est-ce une situation complexe ?
Accepter nos enfants tels qu’ils sont et pour ce qu’ils sont, c’est se poser ce genre de questions et étudier profondément les réponses.
Le comportement de nos enfants peut avoir certains aspects beaucoup plus difficiles à tolérer que d’autres. Les moments où ils ont besoin d’acceptation et d’amour sont inévitablement ceux où il est le plus difficile pour nous de leur offrir tout cela.
Précisons-bien : l’acceptation, ce n’est pas accepter tout ce que font nos enfants. Certains comportements seront pour nous, pour nos valeurs, pour ce que nous souhaitons pour notre famille, inacceptables. Il s’agit plus ici d’accepter une situation, d’accepter les choses telles qu’elles sont. La situation est ce qu’elle est, bien présente, on ne peut changer le passé et revenir en arrière, alors rien ne sert de résister. Le simple fait de ne pas résister et d’accepter est un soulagement car résister demande des ressources et mobilise de l’énergie.
La prochaine fois que nos enfants nous mettent à l’épreuve, tentons de nous rappeler de :
– la souveraineté : respectons leurs choix
– l’empathie : mettons-nous à leur place
– l’acceptation : nous ne pouvons pas tout contrôler, c’est comme ça !
* Toutes les citations sont extraites de “A chaque jour ses prodiges. Être parent en pleine conscience” de Myla et Jon Kabat-Zinn.