L’orthographe, une affaire d’attention ?

 

Écrire sans faute, c’est construire un beau texte avec des mots bien cadrés, c’est comme dessiner le plan d’un bâtiment avec de beaux tracés perpendiculaires. Ce n’est pas moi qui le dit, mais l’étymologie. En directe provenance du grec, “graphe” signifie dessiner, tracer et “ortho” caractérise des lignes qui se coupent à angle droit. Évidemment, on ne devient pas architecte des mots sur des intuitions. C’est pour cela qu’apprendre à écrire sans faute d’orthographe est une tâche très complexe pour l’enfant. En plus, pour compliquer encore la situation, on demande à l’enfant d’assimiler ce nouveau savoir en très peu de temps !

 

La maîtrise de l’orthographe découle de trois connaissances

je ne fais plus de faute

 

 

Acquérir ces trois connaissances est difficile car beaucoup d’obstacles se dressent devant l’enfant.

 

Apprendre l’orthographe est compliqué :

Dans l’entreprise périlleuse qui consiste à écrire un texte, il faut bien réaliser que l’orthographe n’est qu’une sous-tâche qui arrive tout à la fin du processus d’écriture. Regardons ce qu’il faut faire pour rédiger un petit texte :

 

rédiger un texte

Obstacle 1 : quand l’enfant en arrive au stade de l’orthographe, il est déjà bien fatigué et son cerveau peine à mobiliser l’attention nécessaire pour écrire sans faute.

 

Ensuite, c’est un drôle de phénomène, l’orthographe ! Car s’il est facile de l’apprendre quand on lit, il est difficile d’apprendre à écrire et de produire des mots sans faute.

L’idéal serait d’avoir “un son = une lettre” (ou une combinaison de lettres), mais en français nous avons environ 36 phonèmes qui peuvent se traduire par 130 graphèmes différents.

 

Regardons la phrase :

« Lundi matin, l’impertinent lapin ira à Reims manger du thym avec ses compères chien et lynx. Ils ont faim. Mais hélas Il prendra un train sans frein. Attention à l’impact ! »

 

Dans cette phrase, il y a 10 façon de produire le son “in” !

 

correspondance graphème-phonème

Obstacle 2 : il n’y a pas de correspondance directe entre un son et les lettres qui le codent.

 

Pour ne rien simplifier, en français, nous avons aussi des lettres muettes comme le “h” de hibou et des consonnes doublées comme le “n” de…consonne !

Obstacle 3 : quand les enfants arrivent à l’école, ils découvrent des lettres invisibles.

 

Nous ne prononçons pas toutes les lettres des mots, et même, nous déformons les mots. Ainsi, le mot “médecin” est souvent prononcé “metsin”: le deuxième “e” est escamoté et le “d” se transforme en “t”.

Obstacle 4 : quand les enfants arrivent à l’école, ils découvrent que ce que nous prononçons ne correspond pas à ce qui est écrit.

 

Une bonne compréhension mais une mauvaise orthographe

Les études des chercheurs montrent que l’apprentissage du lexique, des mots, des régularités de la langue française et de l’orthographe est massivement implicite, par le biais de la lecture. Mais malgré des lectures intensives, ces recherches démontrent que certains mots résistent étrangement à l’apprentissage. Un exemple : le mot “trombone”, pour une raison mystérieuse, est presque toujours écrit avec une faute. Pour contrer ces mots qui résistent à l’apprentissage implicite, il faut donc renforcer la lecture par un enseignement explicite. Il ne s’agit pas, bien sûr, de le faire pour tous les mots, mais seulement avec des listes de mots choisis (comme la liste de petits mots utiles dessus-dessous-derrière-devant-autour-partout).

Pour nous aider encore plus, Sylviane Valdois, directrice de recherche au CNRS au laboratoire de psychologie et neurocognition, a mis au point une liste de mots illustrés ayant pour but de mémoriser les particularités de l’orthographe par l’évocation de leur sens.

 

 

mots illustrés

 

Je vous invite à télécharger ces mots illustrés, ils sont drôles et très inventifs.

 

Un autre point encore : il est très utile aussi d’enseigner la morphologie.

– On peut décliner les mots au féminin pour révéler les lettres cachées (gris, bavard, marquis, délicat).

– On peut décomposer les mots et faire un peu d’étymologie simple:

 

graphe => orthographe, graphisme, démographie

mont => montagne, montagnard, amont

 

Enfin, les chercheurs ont mis à jour un paradoxe. Ils ont découvert que les enfants, bien que très vite en mesure de détecter les fautes dans un texte, et n’ayant pas de problème de compréhension, capables d’associer correctement la chaîne “les poissons” avec une image de plusieurs poissons, et le mot “le poisson” avec un seul petit dessin de poisson, ont une très faible capacité à mettre en œuvre ce qu’ils savent, et à écrire sans faute d’orthographe.

 

Le paradoxe est donc celui-ci : une très bonne compréhension mais une production orthographique très faible. En réalité, il est difficile de passer d’une connaissance déclarative à une connaissance procédurale, du théorique au pratique.

 

Développer son attention

Une fois de plus, c’est notre vieille amie l’attention qui revient sur le devant de la scène. Michel Fayol et ses collègues ont montré qu’une orthographe défaillante est aussi un problème de partage de l’attention et de la mémoire entre différents sujets et activités.

Ce qu’il faut, en plus, ce n’est donc plus uniquement un apprentissage sur le contenu (la complexité de la dictée), ni sur les procédures et méthodes (la grammaire, les règles, les régularités) mais sur la situation mise en œuvre, sur le cadre, le contexte de l’écrit et l’attention qui est liée à cette tâche.

 

Il faut entraîner l’enfant à garder son attention et trouver des situations qui permettraient de faire une progression entre des situations de plus en plus coûteuses en attention.

 

Comment limiter l’éparpillement de l’attention lorsqu’on produit de l’orthographe ? Et bien… on ne peut pas ! Il faut, de façon générale, apprendre à travailler cette attention pour la renforcer. C’est un projet à long terme qui n’est pas exclusivement dédié à l’orthographe bien sûr !

 

Voici quelques pistes pour développer son attention de manière générale. Ce qu’on peut faire :

Expliquer à l’enfant ce qu’est l’attention: la sélection d’un objet ou d’une personne, des paroles ou des mots, et rester focalisé sur cet objet, cette personne, ces paroles ou ces mots. On peut lui dire que dans sa tête certains neurones s’activent mais qu’on n’est pas obligé de les écouter ! On n’est pas obligé de les suivre dans leurs envie d’aller voir ailleurs.

 

Prendre conscience que notre cerveau est constamment sollicité. On peut demander à l’enfant de se mettre en position de chef d’orchestre et de décider des tâches à accomplir : “Cerveau, je te donne ce texte à écrire, puis ces phrases à relire, puis l’orthographe de ces mots à vérifier”. Chaque chose en son temps, petit à petit.

 

Développer sa sensibilité et la conscience de la mise en action du corps. Quand l’enfant se laisse distraire, les yeux s’orientent ailleurs, le corps se tourne ou se redresse. La distraction et la perte d’attention entraîne une mise en action du corps : en restabilisant mon corps, je peux apprendre à stabiliser mon attention, c’est un réel apprentissage.

 

Donner des modes d’emploi pour se concentrer : une astuce bien utile c’est de former des images mentales. Par exemple, je vous dis que nous allons faire un gâteau au chocolat. Nous prenons la tablette de chocolat que nous sortons de son papier d’aluminium qui crispe et nous cassons les carrés de chocolat un à un dans un bol. Ce bol, nous le prenons et nous le posons dans une casserole d’eau bouillante, puis nous ajoutons de petits morceaux de beurre. Le beurre fond doucement avec le chocolat…

Je suis sûr que vous vous êtes fait des images mentales (en tout cas j’espère). Si vous étiez attentifs à ce texte, si votre attention était centrée sur ces mots, vous avez dû transformer les mots en images et visualiser dans votre tête le chocolat qui fond. Et vous pouvez maintenant reproduire la recette, vous vous en souvenez.

 

Cela permet d’expliquer vraiment aux enfants ce qu’il faut faire, et cela marche…

 

 

Sources :

Les mots illustrés : https://lpnc.univ-grenoble-alpes.fr/Sylviane-Valdois

Les explications de Jean-Philippe Lachaux, dans Cycles cerveau de Matthieu Vidard et Lionel Naccache – “Les clés de l’attention et de la concentration”

La conférence de Michel Fayol au Collège de France le 20 novembre 2012

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2 Replies to “L’orthographe, une affaire d’attention ?”

  1. Bonjour à tous
    Un MOOC sur l’attention vient de démarrer, utile et accessible à tous, qui explique tout et fournit des outils très utiles pour développer l’attention de nos enfants… et la nôtre!! justement par Jean-Philippe Lachaux

    Merci pour votre blog toujours à la pointe des sujets Muriel et Didier!
    Estelle

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